« La papeterie Tsubaki » de OGAWA Ito. Nous entrons, tout en délicatesse, dans la vie de Hatoko. Une jeune femme qui revient du Canada dans sa maison natale. Dans la ville de Kamakura. Une ville sur la côte Est du Japon, tournée vers l’Océan, aux nombreux temples et sanctuaires. Le récit se déroule à la première personne. Hatoko prend la suite de sa grand-mère qui l’a élevée dans l’idée de prolonger la vocation familiale d’écrivain public. Une activité associée à la tenue de la papeterie Tsubaki sur les hauteurs de la ville.

Autour de ce métier très codifié, autour de l’écriture avec les innombrables variations qu’offre la calligraphie japonaise, nous déambulons dans les relations que retisse la jeune femme avec sa ville de naissance. Et les impressions que ce retour lui inspire. Avec sa grand-mère, « l’Ainée »., avec son enfance. Avec ses « clients » qui viennent lui demander d’écrire, à leur place, une lettre, un message, pour toutes les raisons qui peuvent pousser une personne à exprimer quelque chose à quelqu’un. Les meilleures et les pires.

La lecture de ce roman est captivante et apaisante à la fois. En arrière-plan, un fond de mélancolie cours le long du récit, jusqu’à quelques pages de la fin du roman.

Se mettre à la place de l’autre

On a compris que le roman tourne autour de cet activité d’écrivain public. Une activité qui consiste à accueillir la demande d’une personne que l’on ne connait pas. De l’écouter. Et de réaliser par soi-même, dans son contenu et dans sa forme, une missive qui sera envoyée sans que le demandeur ne la voie. Ne l’approuve. Ne la corrige ou l’empêche même. Seul l’effet sur le destinataire de la lettre, s’il y en a, sera perceptible pour le demandeur !

Dès lors, il faut par-dessus tout réussir à capter la personnalité du demandeur : quelle est son intention ? Mais aussi comprendre, à travers ses propos, celle du destinataire de la lettre, et les liens qui unissent l’un et l’autre. Liens d’amour, de haine… Il peut aussi s’agir d’écrire une lettre pour résoudre un problème, dépasser une inhibition, ou apaiser un conflit. Ou signifier un refus, ou même une rupture.

« La papeterie Tsubaki » de OGAWA Ito - Couverture du livreLaisser jaillir l’inspiration

Une fois le demandeur parti, Hatoko se retrouve seule avec la demande de l’inconnu, de l’inconnue. On est totalement dans le « comment », puisque le « pourquoi » est sensé avoir été formulé. Compris et accepté.

Comment exprimer par des mots la demande ? Mais, aussi important, comment l’écrire ? Avec quelle écriture ? Kanji ou Kana ? [1]. Avec quel instrument ? Le pinceau, et si oui, lequel ? La plume, mais laquelle ? En plume d’oie, en acier, en verre ? Sur quel papier ? Dans quelle enveloppe ? Avec quel type de timbre pour l’expédition postale ?

Des lettres sont publiées dans la forme qui a été décrite dans le récit, tout au long des pages.

Toutes ces décisions créatives sont dans la main de l’écrivain public. De Hatoko, quand elle se retrouve seule avec sa commande. C’est aussi un moyen de se connaitre soi-même. Elle constate ainsi que « l’écriture change avec l’âge » tout au long d’une vie.

Cette activité est aussi un formidable moyen de tisser des liens avec les personnes qui franchissent le seuil de la papeterie. A la recherche d’une solution… Rencontres, liens qui se tissent et forment la trame du roman.

« La papeterie Tsubaki » de OGAWA Ito Une lettre en japonaisDans la tradition japonaise, la nature, le temps qu’il fait, tiennent une place de choix dans le récit

Le temps qu’il fait au fil des saisons est présent en début et en fin de chacun des épisodes du roman. Comme une figure littéraire imposée. Le ciel, le vent, les nuages qui ponctuent le ciel ou qu’ils s’amassent en de sombres présages. Le camélia devant la maison, sa floraison… Les pétales des cerisiers en fleurs qui volent au vent. Qui finissent par joncher le sol…

Hatoko vibre avec ces éléments. Avec les odeurs qui s’exhalent des fleurs. Avec les impressions que la marche dans un bois provoque. Les arbres sont présents, comme le sont les plantes et leur vie tout au long de l’année.

La nourriture occupe une place importante dans la vie de Hatoko et dans le récit de l’auteur

On y décrit ses effets sur le corps, sur les humeurs, sur la voix. Les odeurs qui se dégagent des mets. Les souvenirs contenus dans les plats. Hatoko aime la nourriture raffinée, traditionnelle. Et l’auteure nous décrit avec détail les impressions qu’elle en tire. (p 223) « J’ai saisi mon mug et pris une petite gorgée de ma boisson au kudzu qui avait tiédi. Sa douce saveur s’est lentement déployée sur mon palais. »

Le temps est rythmé par des rituels

La fin de l’année, le nouvel an et la « soupe du jour de l’an ». L’annonce du printemps. L’eau puisée dans la source du sanctuaire le premier jour de l’année. Les moments de l’été dans la chaleur extrême. Rituels hérités, mais aussi rituels inventés comme celui de bruler, à chaque nouvel an, les lettres reçues dans l’année passée.

Les sept plantes que l’on va cueillir en hiver pour en faire une décoction dans laquelle plonger ses ongles pour les renforcer. Les cadeaux qu’on s’échangent colorent ces rituels dans des relations d’une extrême délicatesse. La présence des hommes dans un groupe vient, bien sûr, perturber ces bonnes manières entre femmes. Mais c’est toujours avec respect.

Pourtant, la tension, la crise, le drame sont présents

Hatoko, élevée par son « Ainée » d’une façon très rigoureuse, dans l’apprentissage permanent de l’écriture, se révolte. Elle casse l’encrier devant sa grand-mère, et devient une « ganguro »[2]. Une mode de révolte pour les adolescentes des villes. Aujourd’hui, Hatoko a bien honte de cet épisode de sa vie !

Elle apprend la véritable histoire de sa famille. Et surtout, le rôle malveillant que sa grand-mère a joué, en écartant sa propre fille de la petite Hatoko.

Sa grand-mère, dans son rôle de professeur aux méthodes implacables de rigueur et de discipline. Hatoko va faire un chemin pour réhabiliter cette femme dans son cœur.

Un léger murmure, comme un souffle léger

Effleure, au détour d’une phrase, un sentiment de solitude. Elle n’a pas d’amoureux, elle est seule. Comme si elle n’avait aucune prise sur cette état. Mais l’évocation de sa solitude est légère, discrète, entourée d’une extrême pudeur.

En une fin heureuse…

Hatoko aurait elle rencontré un homme dans les dernières lignes du roman ? Cette transformation dans sa vie passe par une petite fille à qui elle se lie. Une enfant élevée seule par son père. La mère est morte, par assassinat aveugle. Et la rencontre va s’effectuer avec ce père.

Hatoko doit d’abord pacifier sa relation avec sa grand-mère sévère. L’a-t-elle aimée ? La jeune femme use des ses armes pour surmonter cet obstacle : un courrier, qu’elle lui adresse en une longue lettre post-mortem. Elle y vide son cœur et s’en trouve soulagée. Elle est maintenant disponible pour l’amour.

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OGAWA Ito, née en 1973 à Yamagata, est une auteure japonaise. Originaire de la ville de Yamagata au Japon, Ito Ogawa se rend à Tokyo pour poursuivre des études de japonais classique à l’université. Elle commence sa carrière d’auteure en écrivant des chansons et des livres illustrés pour les enfants. Succès critique et public, son premier roman, Le Restaurant de l’amour retrouvé paru au Japon en 2008, est publié en 2013 aux Éditions Philippe Picquier. Il fait l’objet d’une adaptation cinématographique sous le titre Rinco’s Restaurant (食堂かたつむり), sorti sur les écrans japonais en 2010 et réalisée par Mai Tominaga (d’après Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI

Ogawa Ito, dans « La papeterie Tsubaki », fait écho à son inconsolable manque à l’endroit de sa propre mère. Tout comme dans son roman précédent : Le Restaurant de l’amour retrouvé dont on pourra lire une note de lecture ==> ICI

[1] Les types d’écritures du japonais sont composés de systèmes graphiques :

  • kanji : un ensemble de logogrammes ou sinogrammes utilisés pendant des siècles, optionnellement annotés de translittération phonétique kana de type furigana ;
  • kana : deux écritures syllabaires hiragana et katakana équivalentes ;
  • rōmaji : une romanisation dans l’alphabet latin dans certains cas plus restreints.

Contrairement à la langue chinoise qui connaît des tons, la langue japonaise est atone, et la compilation des kanjis donna lieu à de nombreux homophones. Seule l’écriture fait foi. De ce fait — et pour d’autres considérations d’ordre historique et culturel —, on ne pourrait pas envisager, aujourd’hui, d’abolir les kanjis pour instaurer une écriture purement phonétique. Mais la langue reste évolutive, et les moyens contemporains de communication ne sont pas entravés au Japon. Au contraire, les kanjis ont des avantages : ce sont des condensés d’information. (Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI

[2] Le phénomène ganguro (kanji : 顔黒 ; hiragana : がんぐろ ; katakana : ガングロ ; littéralement, « visage noir ») est une mode japonaise impliquant notamment la décoloration des cheveux. Il a atteint son apogée vers la fin des années 1990 et le début des années 2000. Une ganguro est une fille qui a la peau bronzée et des cheveux blonds éclatants (Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI