Solan : foi – agroécologie – frugalité. Impressions recueillies lors d’un court séjour au monastère en aout 2023. Des impressions partielles, superficielles, pris que j’étais dans l’euphorie de la découverte. Dans la beauté du site. Dans la chaleur de l’accueil. Mais aussi, spectateur, dans la force de la spiritualité à l’œuvre. A l’œuvre dans les pierres taillées. Dans le bois travaillé. Dans la nature respectée… et bien ailleurs dans le secret des âmes.
Ce qu’en disent les sœurs qui animent ce lieu
Je reproduis ici la présentation que la communauté de sœurs, par la voix de leur Révérende, a fait de leur lieu de vie, de prière et de travail.
« Le Monastère de Solan se veut foyer de prière pour la région et le monde entier. Il accueille aussi, dans un esprit de respect et d’écoute, les personnes de toute origine qui viennent pour quelques jours ou quelques heures, assister à une célébration liturgique, demander une aide spirituelle, chercher la paix de l’âme. » La Révérende Mère Hypandia [1]
Beauté des formes construites
Une église imposante a été construite il y a quelques années. Délicatement enchâssée au milieu des bâtiments ! Comme si elle avait été là depuis des siècles, dans la cour même de l’ancienne ferme. Quelle audace ! Une église qui reprend le trésor des formes romanes présentes dans la région. Une construction menée au prix d’un travail de la pierre et du bois d’une grande rigueur épurée.
Au XII° siècle, une communauté de moines avait déjà investi les lieux. Il en reste une salle fraiche dans la chaleur de l’été. Un peu sombre. Un espace qui était, sans doute, une étable avec ses ouvertures hautes pour y faire glisser le foin.
La beauté du lieu tient beaucoup au talent du père Théotokis qui a orchestré les travaux sur les bâtiments, et a largement contribué à donner à ce lieu son harmonie.
Un dédale de pièces, dans l’édifice complexe
Avec sa partie privée, réservée à la vie des sœurs. Et celle des deux pères qui sont présent, car seuls autorisés devant Dieu à officier les messes qui ponctuent les jours.
De lourdes portes protègent l’agencement ordonné des bâtiments, noyés dans le moutonnement des collines couvertes d’arbres et de broussailles. Ces portes se ferment le soir à heure fixe.
On imagine ce geste de fermeture du lieu dans la France du Moyen-Age, où loups, pauvres et bandits pouvaient roder en quête d’un peu à manger ou d’un mauvais coup.
Le domaine : un certain rapport à la nature
Dehors, c’est le contraste. On est immergé dans l’apparent désordre des cultures, sur les 60 hectares du domaine. Dont 40 en forêt. Le reste est soigneusement cultivé. Vignes, arbres fruitiers, oliviers.
Des cultures où la profusion d’herbes au sol assoupli nos pas quand nous parcourons les divers cépages des vignes, les vergers, les oliveraies. Et même le potager ! Ne pas laisser un pouce carré du sol à nu, à découvert ! Un des grands enseignements agroécologique de Pierre Rabhi, le fondateur de « Terre & Humanisme » [2].
Pierre, en voisin, a largement inspiré l’orientation des sœurs dans leur rapport à la nature. Un enseignement qu’Olivier H. continue de porter, conseiller des sœurs. Une autre audace ! Oser conseiller celles qui sont en contact direct avec Dieu !
Un îlot écologique
Pour faire de cette ancienne ferme, longtemps exploitée en agriculture conventionnelle (avec engrais et pesticides), un îlot écologique. Un lieu où le respect de la terre, des plantes, des animaux qui tous ensemble composent notre environnement, forme la ligne d’action de la communauté.
Des panneaux solaires assurent une part de l’autonomie énergétique du monastère. Le chauffage est assuré par une chaudière à déchets de bois broyé.
Le soleil, ami ou ennemi ?
Le dur soleil du midi ? En faire un allié ! Par la photosynthèse et l’enfouissement du carbone dans le sol. Mais il peut se transformer en ennemi avec ses rayons ultraviolets qui tuent toute vie si la terre est mise à nu sous ses rayons ardents.
« Ora et Labora »
« Prière et Travail ». L’un soutient l’autre me dit une Sœur. Inlassable est leur activité. Dans la maison, à la cuisine, aux champs. Les sœurs s’affairent. Elles glissent, légères, dans le paysage. Ou entre les murs de l’édifice. Dans la cour.
Prises dans leurs grandes robes noires, pour certaines, usées par le travail, on devine des silhouettes furtives au loin. Echanges intenses dans la rencontre. Une énergie constante et ferme, déployée à chaque instant.
A l’église, recueillement pendant l’office. Au réfectoire, recueillement dans le silence. Chacun, chacune dans ses pensées. Ici ou ailleurs.
Le temps rythmé
Tout l’espace est cadencé par les sons qui renvoient à la prière. Prières du matin. De la journée. Vêpres du soir. Offices plein de rituels d’Orient.
Il y a des cloches également, mais on les utilise avec parcimonie. Pourquoi ? Est-ce la peur du Turc qui persiste ? Lui qui interdisait que l’on sonne les cloches dans son Empire ?
Les sons qui peuplent cet espace
D’abord le silence de la nuit. A peine effleuré par le souffle léger du vent qui anime les feuilles de la tonnelle, sous la coursive. La nature reprend sa respiration après la chaleur écrasante d’une journée d’été. J’ai laissé ma porte ouverte pour laisser un peu de vent rafraichir la chambre.
Au tout petit matin, des bruits de pas. Légers, fermes, assurés. Une clé qui tourne dans sa serrure. Un lieu où les règles se font entendre. Un monde que l’on sent ancré dans des siècles d’histoire. Une histoire qui nous vient aussi du Mont Athos, en Grèce [3].
Et puis un bruit scandé…
… comme le heurt de deux morceaux de bois, légers, réguliers. Ce sont les maillets avec qui l’on heure les « simandres » [4]. Elles produisent des sons doux qui appellent à l’office du petit matin, avec une certaine discrétion.
Un coq au loin fait son travail de coq du matin. D’autres bruits non identifiés se font entendre. Toujours doux. Qui gardent leur mystère.
Le bruit des bois frappés doucement se prolonge puis s’arrête. Comme une incitation au réveil qui nous laisse la liberté de nous lever ou de retourner dans le sommeil.
Un soupçon de chant polyphonique s’élève
Des voix de femmes. L’Office a commencé. Le chant prend de la consistance. Mais il reste posé. Le jour se lève doucement avec le chant. Une porte s’ouvre. Bruits de pas. Une porte se ferme. Des clochettes s’animent. Avec un son assourdi. Comme si elles étaient en bois. Le monastère est réveillé, le jour se lève, pleinement.
Accord profond avec la nature et spiritualité
Accord non pas dans une posture éthérée et suspendue dans les airs. Mais au plus près du sol, justement. Dans la réalité d’un travail concret. Qui renvoie pourtant à quelque chose de transcendant. En plus de nourrir la communauté et les nombreux visiteurs qui viennent apporter quelque chose au monastère, y trouver des ressources. Ou donner leur temps pour des travaux bénévoles.
L’eau épargnée
En ces terres où les forêts sont pourtant denses, la ressource en eau est rare. Pas question de gaspiller ce que le forage accorde à la communauté. Toute l’eau récupérable, dans les gestes de chacun, est recueillie et réutilisée pour des arrosages.
Les repas
Entrée en ordre dans le réfectoire, derrière la Mère supérieure et les sœurs. Placement par les sœurs. Tables d’hommes d’un côté, de femmes de l’autre. Chaque jour une nouvelle disposition. Selon quelles règles ? Je n’ai pas saisi la subtilité de l’agencement des places dans la salle. Et je n’ai pas osé poser la question.
Le repas s’effectue dans le plus grand calme. Des paroles de religion sont énoncées dans le silence des convives. Aujourd’hui, le thème porte sur les relations entre science et croyance. Le lendemain, ce sera la nécessaire réflexivité dans les relations que nous établissons avec les autres.
Le repas est déjà servi sur les tables, dans des couverts sobres, en métal. Entre chaque convive, une assiette vide où l’on peut mettre, au début du repas, ce que l’on ne va pas manger.
La « sobriété heureuse » chère à Pierre Rabhi a marqué de son empreinte les actes quotidiens de la communauté. Elle anime les pratiques de chacun sur tout l’espace du domaine. Elle instille une sérénité insoupçonnée.
Ergonomie des espaces de vie et de travail
Chaque détail est pensé avec grand soin. Simple, robuste, beau, sobre, pratique, facile d’entretien, fait pour durer… Chaque objet, équipement, installation répond à ces critères. Dans les chambres, dans les espaces communs…
La « sobriété heureuse » est tout à l’opposé de l’à-peu-près, de la laideur, de la misère, du dysfonctionnel, de l’obsolescence programmée. Le profond engagement écologique se marque à chaque instant, dans chaque espace.
Le dimanche, l’Office en majesté
De nombreux fidèles viennent à la messe de ce dimanche, parfois de très loin. Et se mêlent à la communauté des Sœurs. Le prêtre officie dans ses grands habits cérémonieux. Les chants ponctuent le déroulé de la cérémonie. Tout se dit en français. Le chœur de l’église est séparé en deux espaces qu’un rideau peut cloisonner ou pas, selon le moment de la messe (…).
Journée de prière et d’échanges
Ce dimanche 27 aout 2023, est la Journée annuelle consacrée à la Sauvegarde de la création, qui réunit une centaine de personnes. La plupart membres de l’Association des « Amis de Solan » [5].
L’après-midi, après le pique-nique sous les oliviers, une conférence se tient où j’ai été invité à parler du « développement ». Aux côtés d’une personne qui va aborder ce thème sous l’angle religieux.
« Nous, dans le basculement du monde »
Plusieurs semaines de réflexions et de multiples échanges avec Sœur Iossifia ont été nécessaires pour cadrer mon intervention. Dans la bienveillance et l’intelligence. Les membres du Conseil d’Administration des Amis de Solan ont eu leur mot à dire, bien entendu. Une belle et brève rencontre avec Boris Petrič, dont j’avais tant apprécié l’ouvrage « On a mangé nos moutons ». Voir la note de lecture sur cette analyse de sociologie politique du Kirghizstan ==> ICI.
Finalement, nous sommes convenus du titre de mon propos : « Nous, dans le basculement du monde ».
Conférence. Je parle du moment particulier que nous vivons sur cette terre mise en danger par l’action irréfléchie des hommes. Nous sommes entrés dans l’anthropocène ! Et dans cette nouvelle phase de l’histoire de l’humanité, le monde est bousculé par l’émergence de forces qui contestent les puissances qui s’étaient installées dans leur domination absolue depuis 3 siècles. Il y a, désormais, « deux éléphants dans la boutique de porcelaine » ! [6]
Un monde où nos repères vacillent. Où l’incertitude croît. Ma tâche ? Essayer, modestement, de mettre des mots sur ces états fragiles du monde et sur les passions funestes qui l’agitent. Au Proche-Orient, les massacres de l’automne 2023 éclairent d’un jour sombre ce monde.
J’écoute, avec attention, l’exposé qui donne au mot développement sa dimension spirituelle. Un moment d’échange.
Et… un lâcher d’oiseaux pour finir ce beau séjour
L’association « Goupil connexion » [7] est venue avec ses « boites à oiseau », pour rendre à la nature des oiseau que les vétérinaires bénévoles ont « remis d’aplomb » après des blessures diverses. Il y les oiseaux de jour, pigeons, petits rapaces… Oiseaux migrateurs… Ces derniers n’attendent que la liberté pour rejoindre l’Afrique du Sud en survolant la Mer Méditerranée, et toute l’Afrique. Avec leurs belles plumes bleu sombre, ils ont fière allure en prenant leur envol.
Il y a aussi les oiseaux de nuit, aux yeux posés au milieu de leurs grandes oreilles. Ils sont petits, ils ont de drôles d’air. Savent-ils qu’il vont trouver dans le domaine du monastère leur nouvel habitat ?
& & &
[1] Pour en savoir plus sur le Monastère de Solan, voir ==> ICI
[2] Terre & Humanisme. Voir ==>ICI
[3] Le mont Athos (en grec moderne : Το όρος Άθωνας aussi appelé « Sainte Montagne ») est une montagne du Nord de la Grèce, à l’extrémité sud-est de la Chalcidique, dont il constitue le point culminant. C’est également un haut lieu de la spiritualité du christianisme orthodoxe. C’est là que se trouve la communauté monastique du mont Athos. (d’après Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[4] La simandre est une planche de bois (tilleul ou hêtre, bois sacrés) suspendue ou mobile, parfois de fer, que l’on frappe d’un maillet de bois pour appeler aux offices religieux. Cet instrument est toujours en activité de nos jours en Grèce et en Roumanie, (et au monastère de Solan dans le Gard) où il sert à réveiller les moines orthodoxes le matin, à les appeler à la prière, aux offices et aux repas. (d’après Wikipédia) Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[5] « Les amis de Solan » ==> ICI
[6] « Comme deux éléphants dans un magasin de porcelaine » voir ==> ICI
[7] Association Goupil connexion. Voir ==> ICI
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