« Les Noces de Zyen » de Tayeb SALIH (et autres récits). La vie dans un village d’Egypte des années 1950. Alliances, solidarités, médisance, ruptures… On trouve dans ces récits tout ce qui compose le quotidien d’une petite collectivité villageoise. Une communauté qui vit dans la monotonie du travail agricole sur les terres fertiles (et étroites) qui bordent le Nil.
Le « fou du village »
Le principal récit, parmi les trois qui forment l’ouvrage, tourne autour d’un personnage singulier, Zeyn. Un homme affublé d’une grande laideur, mais enjoué, imprévisible, farceur, poète, séducteur … Un habitué des fêtes en tous genre qui ponctuent la vie villageoise.
Les intrigues vont bon train, largement tournées autour des alliances matrimoniales. Les jeunes femmes sont l’enjeu essentiel de ce jeu séculaire. Les intérêts des uns et des autres, les questions de préséance au regard du statut, les conflits historiques entre familles… fondent une scénographie complexe qui vient agrémenter la monotonie de la vie rurale. Zein est pris dans cet entrelac de propos. Il est question de son mariage avec la plus belle fille du village. La religion s’en mêle, bien évidemment. Chacun a un avis sur cette question. Est-ce une rumeur ? Le village se divise. Les commérages vont bon train.
Les clans du village dans cet important sujet de débat
Il y a le groupe des pieux, regroupés autour de l’Imam qui jouit d’un certain prestige. C’est devant lui que l’on passe contrat pour le mariage. Et qui officie pour les morts. Le saint homme du village n’en fait pas partie. Il ne fait pas l’unanimité dans ce groupe. Il ne s’appuie pas sur un statut pour avoir du pouvoir, mais sur la sobre rectitude de sa vie. Et surtout, sur son refus de s’engager dans les jeux de pouvoir. C’est cela qui lui donne ce prestige !
Il y a les pragmatiques, agriculteurs et commerçants. Ils passent leurs soirées en amitié à faire circuler les informations sur les évènements du village. Et à les commenter abondement. Ce sont eux qui exercent la véritable autorité sur la communauté. Ils écartent les étrangers qui viendraient roder la nuit dans les rues du village. Et ce sont eux qui négocient avec le représentant de l’Etat qui vient collecter les impôts.
Et les dépravés, que Dieu les maudisse. D’autres fréquentent le coin écarté du centre, où femmes de joie et musiciens viennent régaler ceux qui s’aventurent dans ces perditions. Les échos de ces ébats arrivent jusqu’au cœur du village. Les fronts se plissent de reproche. Mais que faire ? D’autant que la fréquentation du lieu est plus large qu’on veut bien le dire !
La croyance, omniprésente
Tous les propos, des plus simples aux plus importants, de ponctuent avec les mots de la religion. Le nom de « Dieu » est partout. Intégré à toutes les sauces dans les propos communs. Et, dans les disputes, l’invocation de Dieu, mais aussi du Diable, est permanente. Elle arrive au bout des arguments. Mais qu’est ce qui se dit vraiment au-delà de ces évocations/ invocations/ imprécations/ malédictions ? Le flou demeure.
Dans ce monde rural où le temps fonctionne en suivant la boucle du jour et de la nuit, des saisons, des récoltes, le surnaturel s’invite pour pimenter le quotidien des villageois. Et les croyances soutiennent les évènements fantastiques qui surviennent. Sans doute possible. La rumeur se répand. C’est une vérité qui s’installe ! Quelle magnifique façon de rompre la répétition des jours, des mois, des saisons !
« Le doum de Wad Hamid » [1]
La seconde nouvelle nous entraine dans les relations de soumission/résistance des villageois vis-à-vis du pouvoir central. De celui-ci, il ne peut venir que des tracas, des ennuis, voir pire.
Pourquoi ceux de la capitale veulent ils implanter à toute force un débarcadère sur la partie du Nil qui longe le village ? Pour construire cet équipement, ne va-t-on pas détruire la tombe de Wad Hamid ? Et porter ainsi atteinte au saint qui protège la communauté ?
Même le prédicateur envoyé par le gouvernement ne résiste pas longtemps à l’hostilité des villageois. Mais aussi aux mouches innombrables qui bourdonnent inlassablement tout le jour durant.
Les villageois, éternels perdants
Et quand les villageois se révoltent contre la violence de la police envoyée par l’Etat, ce sont des politiciens de la ville qui récupèrent le mouvement. Et l’instrumentalisent à leur profit. Les villageois ont été une fois de plus bernés.
« Les noces de Zeyn » et autres récits de Tayeb Salih : Une histoire universelle
Des histoires qui parlent de la distance que la modernité creuse entre sociétés rurales et urbaines.
De l’incrédulité totale à la méfiance généralisée. Il y a quelque chose d’universel dans cette résistance des villageois à ce qui vient de la ville. A ce que le pouvoir central fait parvenir dans les coins les plus reculés. Depuis les prélèvements des impôts sur les paysans, jusqu’aux projets de développement aussi éloignés que possible des souhaits des agriculteurs.
Mais le rêve de chacun, dans le village, n’est-il pas d’accéder à un poste dans l’Administration ? De devenir fonctionnaire ?
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Tayeb Salih est un écrivain soudanais né en 1929 à Markaz Marawi dans l’Ach Chamaliyah, au nord du Soudan et mort en 2009. Il est considéré comme l’un des plus grands écrivains arabes avec Taha Hussein et Naguib Mahfouz Wikipédia. Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI
Mouloud Feraoun a écrit des pages magnifiques sur la vie dans les villages de Kabylie, là où il est né et a vécu enfant. On y retrouvera nombre de points communs avec les récits de Tayeb Salih. On lira notamment la note de lecture de « Jours de Kabylie » ==> ICI
Voir également « Le caillou dans la poche. Un geste simple, une histoire universelle » ==> ICI
[1] Le palmier doum d’Égypte, al-dūm (الدوم) en arabe est une espèce de palmier de la famille des Arecaceae. Ce sont de grands palmiers qui peuvent atteindre 30 m de hauteur et avoir 40 cm de diamètre de stipe. (Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI
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