« Balzac et la Petite Tailleuse chinoise » de Dai SIJIE (note de lecture). Nous accompagnons deux jeunes chinois, envoyés depuis la ville en « rééducation » auprès des paysans d’une région montagneuse des plus reculées, proche du Tibet. Nous sommes en 1971, en pleine Révolution Culturelle.
La rééducation par le travail
Dans le village qui les accueillent, les paysans n’ont jamais vu de livre, encore moins de violon. Mais ils connaissent les consignes du pouvoir central : ces deux jeunes, « enfants de bourgeois », sont à rééduquer. Pas par les paroles. Par le rude travail des champs. Les deux adolescents retroussent leurs manches avec courage. Labourage dans les rizières inondées. Extraction de charbon dans une petite mine désaffectée. Transport des excréments humains et animaux pour fertiliser les champs sur d’étroits chemins de montagne. Il fait froid et humide en hiver. Torride en été.
Une lueur s’allume dans cette vie d’une grande rudesse
Un autre jeune, surnommé Binoclard, en rééducation comme eux dans un village voisin, a emporté dans son exil forcé une valise de romans étrangers. Des œuvres notamment de Balzac, Dumas… Ces livres offrent une superbe ouverture sur le monde. Au moment où ne sont accessibles à la population que les œuvres du Président Mao !
Mais posséder et lire ces livres est strictement interdit. Un acte qui sera sévèrement puni s’il est découvert. Nos deux amis rivalisent de ruse pour obtenir que leur soient prêtés ces romans. Rien n’y fait. Ils se décideront alors à voler la valise de livre à leur collègue peureux. Ils se plongent alors avec avidité dans la lecture de ces romans. Et ils apprennent tout ce qu’un adolescent nourri aux œuvres du Parti Communiste et à la lecture des dazibaos peut rêver de découvrir. L’expression de l’amour, de l’individu, de ses capacités, de ses désirs…
Ils rencontrent alors la Petite Tailleuse
C’est la fille du tailleur du canton. Celui-ci se déplace avec ses machines à coudre pour réaliser, à la demande, les habits des villageois et villageoises. Mais les adolescents s’intéressent tout particulièrement à la fille du tailleur. Elle est aussi belle que rude dans ses gestes de campagnarde. Pour la séduire, ils lui racontent les romans de la littérature étrangère. Le jeune fille est totalement conquise.
Luo, l’un des deux adolescent, s’éprend de la jeune fille qui le lui rend bien
Dès lors, les deux adolescents font chaque jour l’aller-retour entre leur village et celui de la fille du tailleur. Ils bravent la pluie, le froid, les bruits étranges de la nature, les dangers d’un chemin étroit bordé, de chaque côté, de précipices. Rien ne les arrête. Les deux jeunes urbains décrivent leur frayeur.
La nature est effrayante
« Nous avions marché presque toute la nuit dans la montagne, traversé une forêt de bambous où les grognements de fauves invisibles nous avaient accompagnés de loin jusqu’au petit matin (…) » (p. 96) « Nous faillîmes nous perdre dans une foret de bambous qui, dressés de toutes parts, se rejoignaient et nous cernaient, luisants de pluie, sombres, humides, chargés d’une odeur âpre de bêtes invisibles. » (p. 84)
On frissonne à l’évocation de cette « odeur âpre de bêtes invisibles » ! !
Grace à un stratagème, Binoclard va quitter la montagne et revenir en ville dans sa famille
Sa « rééducation » est déclarée terminée. Sa mère vient le chercher, et une grande fête est organisée dans le village qui l’a accueilli. Pour faire une vraie fête, il faut de la viande. La mère est prête à payer l’abattage d’un bœuf. Mais c’est interdit. Les villageois précipitent un bœuf dans un ravin, prétextant un accident. La fête peut commencer. Il faut aussi… des sorcières qui vont animer cette nuit de festin. En créant tout une atmosphère mobilisant les croyances profondes des paysans, d’une façon théâtrale. C’est à l’occasion de cette fête que nos deux jeunes vont dérober à Binoclard sa valise de romans étrangers.
Mais l’essentiel se joue, pour les jeunes, dans les découvertes qu’ils font à la lecture de ces romans
Les aventures de Monte Christo les fascinent. Dans le scénario rocambolesque du roman mais surtout dans la liberté qu’elles décrivent. On peut prendre en main son destin. Lutter pour la vérité, pour ses droits. L’individu existe qui peut orienter son destin. Il peut se battre contre l’injustice, le mensonge, l’usurpation…
Les deux jeunes et la petite tailleuse sont fascinés par ces idées nouvelles. Les premiers en parlent avec émotion. Mettent des mots sur ce monde totalement inconnu qui se dévoile au fil des pages…
Mais c’est la Petite Tailleuse chinoise passe aux actes
Elle, la villageoise, a compris le sens profond des idées véhiculées par les romans. Elle ne veut pas seulement rêver à une autre vie. Elle décide de partir, d’aller tenter sa chance dans la ville. La jeune campagnarde a coupé sa longue natte et acheté des basquets blanches. Elle s’est fait une allure de jeune fille de la ville. Elle abandonne les deux garçons, et part d’un pas déterminé. Les deux adolescents sont effondrés. Ils ne se doutaient pas que la liberté peut avoir aussi, un goût amer !
Sans doute, ira-t-elle rejoindre l’héroïne du roman Shanghai Baby (voir ==> ICI)
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Pour en savoir plus sur l’auteur (chinois simplifié : 戴思杰, chinois traditionnel : 戴思傑, pinyin : Dài Sījié), voir ==> ICI