« Zayni Barakat » de Gamal GHITANY (note de lecture). Un roman foisonnant, touffu même, qui nous entraine dans le Caire du XVI° siècle où règne le pouvoir des Mamelouks. Un pouvoir d’autant plus arbitraire et cruel qu’il est faible et menacé.
Les espions omniprésents
Le Sultan n’assure son autorité que par l’action des innombrables espions qui pullulent, épiant faits et gestes de la population. Qui surveillent tant les puissants que les gueux. Car le danger peut venir de mouvements de foule fanatisée par quelque discours enflammés que les émirs ou les chefs religieux peuvent proférer à tout moment. L’arbitraire, la cruauté des châtiments, la prédation permanente des puissants sont autant de motifs de révolte. Et les espions sont là pour livrer les informations nécessaires pour les prévenir.
Le roman se noue autour du conflit entre deux hommes, le chef de la Censure d’un côté, Zayni Barakat, et le Chef des espions de l’autre, Zakariat ibn Râdhi. Chacun va rivaliser de ruse et de brutalité pour assoir son pouvoir. Deux êtres exceptionnels, tournés l’un vers l’autre dans une lutte mortelle. Qui ne verront pas les enjeux véritables qui mettent le pouvoir en péril. Car le danger n’est pas seulement à l’intérieur de la ville.
C’est de l’extérieur que le pouvoir va s’effondrer
La menace vient du Nord. De l’Empire ottoman. Le conflit éclate. L’armée ottomane, sur les terres proches d’Alep en Syrie, va détruire l’armée que le Sultan a conduit jusque-là. Le Sultan est tué dans la bataille. Au Caire, la succession est désordonnée. Tandis que les Ottomans débarquent dans la ville et commencent à imposer leur ordre.
Confusion dans le roman
La narration se fait tourmente. Entre les pires traitements infligés aux marchands soupçonnés d’avoir spéculé sur les fèves ou le blé. Les disparitions dans les geôles cachées du Chef des espions. Le pouvoir des religieux qui capture littéralement l’âme de jeunes qui vont se donner à eux… Le roman suit des fils multiples qui s’embrouillent. Qui ne débouchent, pour certains, sur rien de précis. On se perd dans l’écheveau que l’auteur élabore. Le récit traduit bien le chaos qui règne dans la ville.
Dans le langage des personnages du roman, on retrouve l’omniprésence des référence à Dieu, à son Prophète. Des recours permanents qui ponctuent le moindre propos. Comme des ritournelles qui perdent leur sens. Qui évitent de répondre aux interrogations que se posent les individus. D’abord à eux-mêmes. Laissant les individus démunis. Impuissants devant l’évocation permanente de l’immense puissance du divin qui s’insinue dans les moindres recoins de la vie quotidienne. Pour les choses immenses. Et pour les choses misérables de petitesse.
Mais derrière l’évocation historique, pointe la situation des années présentes en Egypte
Le roman, publié en arabe en 1974, laisse clairement entrevoir les références à la situation contemporaine. La répression de Nasser. L’Infitah de Sadate, qui a livré la société égyptienne à d’autres violences, celles du libéralisme.
Le roman de Gamal Ghitany « Zayni Barakat », pourrait aussi renvoyer à la situation actuelle. Avec un président Sissi aussi cruel, autoritaire, arbitraire que le Sultan d’alors. Avec l’illusion de la place de l’Egypte dans le monde. Qui se vit comme le centre de la Oumma, laquelle est au centre de la terre ! Un pays « protégé par Dieu à qui rien de grave ne peut arriver » !
Rien n’aurait-il changé en Egypte depuis tant de siècles ?
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Gamal GHITANY (arabe : جمال الغيطاني), né en 1945 dans un village de Haute-Égypte et mort en 2015 au Caire, est un écrivain égyptien. Il écrit des romans historiques et est l’un des animateurs du mouvement culturel et littéraire égyptien contemporain. L’auteur, autodidacte, a pratiqué divers métiers (dessinateur de tapis notamment) en même temps que naît sa vocation littéraire. Encouragé par l’écrivain Naguib Mahfouz, il publie dès l’âge de 17 ans ses premières nouvelles dans les revues littéraires égyptiennes et libanaises.
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Voir aussi l’œuvre de Naguib Mahfouz, notamment « Son Excellence » ==> ICI