« Solidaire » mieux que « Solidarité »
Avec l’émergence de nouvelles puissances au Sud et le basculement du monde qu’elle entraine, les mots qui structuraient les relations entre Nord et Sud doivent être précisés ou même revus. La déferlante politique que Trump, dans son second mandat, abat sur le monde, renforce cette nécessité.
Un Sud global ?
Le fait que les puissances émergentes au Sud soient très hétérogènes rend le paysage encore plus difficile à décrypter. Quels solidarités, quelles convergences politiques possibles, en effet entre le Brésil de Lula et l’Iran des Ayatollahs ? Entre le Maroc et la Chine ? La présence de la Russie de Poutine, authentique puissance d’extrême droite, parmi le bloc originaire des BRICS, ajoute à la confusion. Le pouvoir russe ne s’est-il pas déclaré récemment proche de Netanyahou et de sa politique génocidaire de nettoyage ethnique ? Sur le conflit ukrainien, les Etats-Unis ont voté à l’ONU en février 2025 avec la Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord et la Hongrie, contre les pays européens.
Sans m’engager ici sur les conséquences stratégiques de ces évènements, nous concentrons ce texte sur un mot au cœur des relations entre pays du Sud et pays du Nord. Il s’agit des mots « solidarité ».
La solidarité ?
Ce mot évoque des attitudes, des comportements, des politiques marqués positivement à l’aune de la générosité. Dans le champ des relations entre sociétés civiles du Nord et du Sud, le monde des ONG au Nord fait de la « Solidarité internationale » un des axes principaux de ses engagements auprès des populations dans les pays d’intervention. Cette pratique est même désignée par un sigle, « SI ». Preuve de sa banalisation comme allant de soi dans le champ des actions des ONG internationales.
Une interpellation de jeunes du Sud
« Nous ne voulons pas être objet de solidarité internationale de vous-autres du Nord. Comment pouvons-nous agir, nous même, dans ce que vous appelez la solidarité internationale ? » Que répondre à cette demande de réciprocité venant de jeunes du Sud ? A cet volonté d’engagement mutuel ?
Avec cette interpellation, le mot « solidarité » dans le contexte des relations entre acteurs du Sud et acteurs du Nord, se révèle chargé de surplomb bienveillant du Nord sur le Sud. Et donc, quelles que soient les intentions des uns et des autres, dans une attitude de domination. Les acteurs du Sud n’évoquent-ils pas cette sentence : « la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit » ?
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Nous savons cela. Voir à ce sujet ==> ICI
Cette attitude bienveillante qui anime les acteurs de la « SI » se niche le plus souvent dans l’angle mort de la pensée progressiste des sociétés du Nord. Cette incapacité de penser sur un plan réellement égalitaire son rapport à l’Autre du Sud est, selon moi, un des argument majeur de l’impuissance des forces « progressistes » à proposer des solutions crédibles aux sociétés, au Nord comme au Sud, à la crise majeure du capitalisme entrainé par la mondialisation libérale qui détruit le vivant, les acquis sociaux, la démocratie. Voir à ce sujet ==> ICI
Aussi, proposons nous d’utiliser le mot « solidaire » et de faire reculer celui de « solidarité »
Un glissement de quelques lettre, et nous nous retrouvons dans un tout autre univers de pensée. « Solidaires », comme deux pièces de bois. Comme deux personnes peuvent l’être, attachées l’une à l’autre d’une façon solide, forte, sans prééminence de l’une sur l’autre. Solidaire maintient l’idée d’un action, d’une politique, d’un engagement mutuellement respectueux, égal, sans idée de domination. « Nous sommes solidaires dans nos efforts, dans ce projet, dans notre lutte, dans cette ambition… »
La baisse inéluctable des financements au titre de l’Aide Publique au Développement va encourager ce mouvement vers des « projets solidaires ».
« Solidaire » mieux que « Solidarité » : le passage vers des « biens communs » peut soutenir ce glissement vers cette logique d’actions solidaires
Ainsi, soyons solidaires devant le changement climatique. La demande de financements des pays du Sud qui ne sont que marginalement responsables du réchauffement alors qu’ils en subissent la majorité des effets, relève typiquement d’un acte solidaire. Sans surplomb, sans esprit de domination. C’est sans doute la raison pour laquelle les pays du Nord freinent leurs engagements financiers sur ces terrains.
Soyons solidaire des personnes qui sont victimes, au Sud mais aussi au Nord, des atteintes aux droits fondamentaux. Soyons solidaires contre les atteintes aux droits sociaux. Aux reculs des services publics… qui se multiplient depuis des années au Sud mais aussi au Nord.
Quid sur le plan des financements ?
L’action des ONG sur les terrains du Sud va ainsi devoir se tourner progressivement vers un accroissement des financements locaux, publics et privés. En mobilisant d’autres ressources pas seulement financières, sur le plan local. Sans doute cette action devrait elle aussi calibrer ses engagements sur des modes de fonctionnements différents. Qui devront s’adapter à une baisse des ressources.
Bref, il est temps de prendre en compte, en matière de relations internationales menées par les sociétés civiles, les conséquences du basculement du monde. Pour le pire et pour le meilleur.
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C’est également l’une des idées force de mon ouvrage SUD ! Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud, 2018, Ed. L’Harmattan. Voir ==> ICI
Voir la définition que l’Académie française donne au mot SOLIDAIRE ==> ICI