« Quoi de neuf petit homme ? » de Hans FALLADA (note de lecture). Dans l’Allemagne des années 30, un tout jeune couple, Johannes et Emma se lance dans la vie en affrontant la crise qui ravage leur pays. Une vie d’ouvriers et de petits employés écrasés par les puissants. Une vie laminée par l’extrême faiblesse des revenus et la menace permanente du chômage.
Une société profondément éprouvée
Le pays est déjà affaibli par la guerre de 14-18 et la défaite. Ensuite, par la terrible répression de la Révolution allemande de 1918-19 (1) puis par les lourdes réparations imposées par le Traité de Versailles (2). Le roman décrit la vie du jeune couple après l’hyper inflation de 1923-24, qui désagrège les classes populaires (3).
Survient la crise née en 1929 aux Etats Unis qui frappe toute l’Europe. En Allemagne, on passe de 800 000 chômeurs en 1927, à 6 millions lors de l’hiver 1932. Les impôts et les cotisations pour l’assurance-chômage augmentent. Tandis que les prestations pour les chômeurs diminuent. Les salaires des fonctionnaires sont réduits (4).
« Quoi de neuf petit homme ? » de Hans FALLADA (note de lecture), un roman peint en quatre couleurs
Le gris des premiers mois dans une petite ville du Nord du pays. Une vie triste et contrainte. Le jaune criard du temps de retour à Berlin. Le couple vit chez la mère du jeune homme. Une femme de petite vertu qui organise des parties fines dans son appartement. La situation est intenable pour Johannes et Emma.
Le brun-noir de la terrible oppression quotidienne que les puissants et l’Administration font peser sur les pauvres. Dans la petite ville, mais aussi à Berlin, le brun-noir court tout au long du récit. Il s’abat sur les moins que rien, les ouvriers, les petits employés, les « sans dents » dirait-on aujourd’hui. Dans la violence de l’humiliation, dans la haine des pauvres de la part des puissants.
Mais le ressentiment se répand dans la société (5). Des haines froides séparent les salariés de l’entreprise, rabaissés en permanence. Le brun-noir, c’est aussi la couleur du nazisme qui pointe comme réponse folle à cette oppression. Qui va diviser la société en répandant une haine croissante envers les autres, les allogènes, les Juifs. En réponse à cette haine de classe.
Enfin des touches de rose tendre parcourent le roman. C’est le rose de l’amour entre les deux jeunes. Un amour qui va s’exalter à la naissance du bébé. Entre « Le Môme » et « Bichette » comme ils s’appellent l’un l’autre. C’est l’amour qui les fait rebondir dans la tendresse, dans la sexualité. Qui fait tenir ces individus broyés par la vie.
La petite ville, dans le gris des premiers temps du mariage
Johannes Pinneberg est un petit comptable dans une petite entreprise qui vend petitement des céréales. Emma Mörschel, fille d’ouvrier, connait la couture. Elle ne sait rien des tâches ménagères. Mais elle a la volonté farouche de s’en sortir grâce à son amour qu’elle préserve comme son bien le plus précieux. Ils se sont rencontrés dans leurs solitudes respectives sur une plage déserte de la Mer Baltique… Au début du roman, ils apprennent qu’Emma attend un enfant. Il leur faut donc se marier. La précarité des situations sociales de l’un et l’autre rend le mariage difficile. Mais ils sont amoureux l’un de l’autre. Ils plongent, seuls, avec l’amour comme trésor commun, dans une vie étroite, étriquée. (p 315) « Nous sommes encore très jeunes. Et nous n’avons personne. » dit Bichette. Le Môme répond : « Nous nous avons l’un l’autre ».
Emma a vécu dans la culture syndicale de son père et de son frère. Le frère, bourru et sans égards, est militant du Parti Communiste Allemand (6) qui sera défait après la victoire du parti Nazi en 1933. Dans le roman, c’est elle qui est la plus consciente, la plus raisonnable des deux.
Col bleu et col blanc
Les statuts sociaux sont clairement marqués. On est « col bleu », ouvrier. Cela se voit dans l’espace public. Et dans la conscience d’appartenance à la classe ouvrière. Fierté, camaraderie, solidarité. Ou bien on est « col blanc », employé. Avec un costume et un col blanc empesé. Cela se voit aussi dans l’espace public. On est peu solidaire entre cols blancs, mais on se sent supérieur aux cols bleus. Faut-il se syndiquer ? Les ouvriers et les employés ont-ils les mêmes intérêts ? Pourtant, les deux sont profondément méprisés par les puissants. Patrons, Administration.
(p 251) « Mais en faisant ce qu’ils [les patrons] font maintenant, depuis longtemps avec les ouvriers, et avec nous maintenant [les employés], ils sont en train de fabriquer des fauves, et ils vont se prendre un sacré retour, Môme, je te le dis. » C’est Bichette qui s’adresse ainsi à son mari. Le roman est écrit en 1932, un an avant l’arrivée de Hitler au pouvoir par les élections ! L’un des employés avec qui Johannes travaille est inscrit au parti Nazi.
La vie quotidienne au ras du sol
L’auteur nous parle des aspects les plus simples de la vie. Le plat de pois, gâché car Emma a mis trop d’eau pour sa cuisson. Puis cramé au fond de la marmite quand Emma s’endort avec la casserole sur le feu. L’épaisse poussière sur les meubles tarabiscotés du premier meublé en location. Le rituel du bisou avant d’éteindre la lumière …
Le travail, le travail, le travail !
La recherche d’un emploi est l’obsession de millions d’Allemands à l’époque. Le travail salarié est rare face à la multitude des chômeurs. Les patrons profitent de cette situation. Perdre son emploi est une menace permanente. La vie est rétrécie par la peur du licenciement. Par la peur du manque alors que les salaires sont si bas.
Une vie tout en gris
Le gris du ciel déborde dans la vie de chacun. Un gris que les personnages tristes au teint jaunâtre ne viennent pas réchauffer. Le quotidien dans l’entreprise où travaille Johannes est fait de tensions entre employés, de menaces du patron. Une grande tristesse se dégage de cet univers terne, décoloré. Seule la nature offre ses couleurs de verdure et de calme. Mais elle est bien loin, comme inaccessible.
Du gris au jaune criard : la promesse d’un emploi à Berlin
Arrive une bonne nouvelle. La mère de Johannes annonce qu’un emploi est disponible dans un grand magasin de la capitale. Elle propose (contre un loyer) une chambre dans son appartement. C’est l’espoir d’un changement de vie pour Johannes et Emma. Le roman se colore brutalement.
Des couleurs vives, criardes, éclairent la vie des jeunes époux. La mère, une femme légère, dont Johannes a honte, fait preuve d’une désinvolture sans malice mais non sans maladresse. Désinvolture que Jachmann, son amant, un géant blond débonnaire, parvient à compenser. Tout de travers, il représente un moment de générosité, apportant aux jeunes des temps d’attention. Il intervient pour trouver un travail de vendeur pour le jeune homme dans un magasin de vêtements. Très mal payé. Mais un travail avec un salaire au bout du mois.
Beuveries et prostitution composent les soirées chez la mère
La mère a passé une annonce pour offrir les services de jeunes femmes, lors de soirées tapageuses qu’elle organise chez elle. Johannes est au comble de la honte. Ils décident de quitter l’appartement. Jachmann va les aider. Ils déménagent dans un réduit qu’Emma a fini par trouver, au-dessus d’un entrepôt de meubles.
Une nouvelle vie commence, tout aussi étriquée
Mais ils sont seuls et tranquilles pour les derniers mois de la grossesse d’Emma. Pour parvenir à finir le mois, il leur faut compter et recompter les sous. Et même pour épargner. C’est elle qui tient, serrés, les cordons de la bourse. On rêve de se payer, dans un an, un jour de fête !
Et Johannes compte aussi les jours d’abstinence qu’Emma lui impose avant la naissance. Cela risquerait de déranger le « Mouflet » qui pousse dans son ventre. Elle se prépare, économise encore pour pouvoir l’accueillir. Surtout, il faut que les premières années du petit soient épargnées de ces angoisses d’argent !
Une ouverture ratée pour Johannes : la piscine des nudistes
Pendant les jours où Emma est à l’hôpital pour la naissance du petit, Johannes se laisse entrainer par Heilbutt. Un collègue bienveillant mais totalement centré sur le naturisme. Il y rencontre une femme, « invitée » comme lui, qui parle de son origine juive. Celle-ci commence à être source de violence. La soirée dans la piscine dédiée à ces gens nus, qui accueillent des invités qui peuvent rester vêtus, aurait pu être truculente. Elle est en fait terriblement triste. Bien sûr, Johannes est resté habillé. Il va s’enfuir de ce lieu sans demander son reste. Et s’il se laissait émouvoir par le corps d’une autre femme que celui de Bichette ?
Le petit homme
Le petit homme, c’est lui, Johannes. Et ses semblables devant les puissantes administrations. Qui humilient les « petits » qui viennent devant elles. Qui se heurtent à l’implacable bureaucratie qui multiplie les demandes de documents. Jusqu’à l’absurde. Johannes se sent petit et miteux devant les guichets de ces monstres administratifs. Misérable, à quémander l’argent des aides sociales auxquelles il a droit après la naissance de son enfant. Il se met en rage, le Môme, contre cette bureaucratie. C’est une impuissance rageuse ! C’est Bichette qui le raisonne. Seul, il ne peut rien contre eux ! Elle sait cela de son père.
Mais au travail, c’est la même chose
Il est harcelé par les contremaitres. Un système de quotas a été institué dans le magasin. Chaque vendeur doit le remplir au risque de voir son salaire rogné ou même être licencié. Au début du mois, les choses vont bien, les clients achètent, ils ont de l’argent. Mais à mesure que le mois avance, l’angoisse monte. Vais-je remplir mon quota ? Demain je dois vendre pour 300 marks. Vais-je y arriver ? Heureusement, Heilbutt lui vient en aide, une fois de plus. Ils ne parlent plus de la soirée naturiste. « Aux prochaines élections, je vote communiste » dit Johannes.
Dans ce tableau brun-noir, quelques touches de couleur
Heilbutt est resté solidaire avec Johannes. Le printemps qui pointe dans les parcs ajoute du vert. Johannes offre des fleurs, de temps en temps, à Emma. En dépit des plans d’économie !
Emma reste solide. Elle allaite son bébé. Elle garde les pieds sur terre ! Elle tempère et apaise la colère stérile et impuissante de son mari, le Môme. Elle est douce. Mais elle sait aussi lancer à son mari des flammes avec ses yeux quand celui-ci dérape trop dans la colère et le désespoir. Elle maintient l’exigence de solidarité avec les collègues, face au patron. Entre elle et son mari, l’amour tient. Il rend la vie possible. Malgré l’étau qui se serre chaque jour sur la vie du « petit homme » !
La glissade inexorable dans la pauvreté
Arrive ce qui devait arriver : Johannes se fait licencier. Ils ne peuvent rester dans leur réduit. Heilbutt leur sauve la mise, une fois de plus, en mettant à leur disposition un cabanon dans un jardin à 40 km du centre-ville. Emma fait des travaux de couture dans le village. Elle ajoute ainsi aux aides sociales. Celles-ci se réduisent. Johannes ère dans la ville. Son col blanc, tout usé, se casse. Il le range dans sa poche. Avec son costume râpé, il perd son statut d’employé dans le regard des autres Il n’est pas non plus un ouvrier. Il n’est plus rien. Qu’un chômeur, qu’un pauvre.
Un soir, devant la vitrine d’une boutique de luxe, il est chassé violemment par un policier : il n’a rien à faire là ! Il est brisé. Bichette l’accueille, elle comprend. Il reste leurs élans. Comme au tout début de leur relation, seuls sur les dunes de la plage.
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(1) Sur la Révolution allemande, voir ==> ICI
(2) Sur le Traité de Versailles, voir ==> ICI
(3) Entre 1918 et 1923, un mark-or exprimé en mark-papier est passé d’une valeur de 1 à 1000 milliards. Sur l’hyper inflation allemande des années 20. Sur l’hyper inflation allemande, voir ==> ICI
(4) Ces informations sont tirées de REFLEXes http://reflexes.samizdat.net
(5) Voir « La haine remède à l’angoisse ? » ==> ICI
(6) Le Parti Communiste Allemand sera battu sévèrement aux élections de 1933 qui verront le triomphe du parti Nazi d’Aldophe Hitler. Sur la défaite historique du Parti Communiste Allemande, Voir ==> ICI
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Sur Hans Fallada, nom de plume de l’écrivain allemand Rudolf Wilhelm Adolf Ditzen, écrivain tourmenté, voir ==> ICI
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