Que nous apprend « Marie-Antoinette » la biographie de Stefan Zweig ? Au travers des heurs et malheurs d’une femme qui fut reine et connu la déchéance, l’auteur évoque les grandes ruptures qui vont s’opérer en France à la fin du XVIII° siècle. Et marquer profondément l’histoire de France, mais aussi celle de l’Europe.
Nous évoquons ici ces principales ruptures. Dieu. La politique. L’égalité. La violence. La nation.
Voir la note de lecture sur l’ouvrage de Stefan Zweig ==> ICI
Révolution. Ruptures
Il est difficile d’imaginer aujourd’hui ce que la Révolution a représenté comme dislocation profonde dans la conscience des personnes qui l’on vécue, qui l’ont porté. A l’échelle de toute la société. Après des siècles d’absolutisme, le pouvoir « de droit divin » s’effondre.
Un pouvoir où le Roi et sa famille étaient quasiment divinisés. A tout le moins, méritaient, sans contestation aucune, un respect qui allait bien au-delà de leur personne, où le religieux était présent. Et les décisions du souverain étaient sans appel. Formant ce qu’on a appelé l’absolutisme.
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Dieu et l’émergence du « politique » au sens moderne
A l’aube du processus révolutionnaire, le pouvoir est issu de la volonté divine. Il est donc intouchable par les êtres humains. Donc immuable !
C’est cette forme de pouvoir qui va sombrer dans le chaos. Sous les coups de la Révolution française. Réaliser ce renversement, cette révolution au sens physique du terme, c’est ramener la dévolution du pouvoir entre les mains des êtres humains. C’est donner aux Hommes le pouvoir de faire ou défaire le pouvoir et les lois.
Désormais, on ne peut plus se cacher derrière Dieu. Ou, ailleurs, les Dieux, ou les ancêtres ou quel qu’autre puissance hors de portée humaine. La politique au sens moderne nait de cette rupture. Une rupture immense. Difficile à comprendre de nos jours tant la question transcendantale a été refoulée dans la plupart des sociétés occidentales.
Cette évolution parait aujourd’hui importante en raison des résurgences de l’ancien système de pensée qui se font jour dans le monde. Y compris et surtout dans l’Occident qui a vu émerger en son sein cette dissociation entre le politique et la religion, en une forme de sécularisation [1].
Aux Etats Unis où le Président Trump invoque la religion pour justifier son éventuel maintien au pouvoir au delà de son second mandat. En dépit des lois des hommes, de la Constitution américaine. Et, avant lui, la Conquête de l’Ouest, c’est-à-dire l’expropriation et le génocide des Indiens d’Amérique, a été justifié par une injonction divine : la « Destinée manifeste »[2].
En Israël également. Où la définition du pays s’appuie, explicitement ou implicitement, sur des références bibliques. « La Bible comme cadastre » a-t-il pu être dit ! Une terre donnée par Dieu à son peuple élu. Une croyance qui rompt radicalement avec le principe d’égalité. Et qui sert de mobilisation d’une partie de la société israélienne pour soutenir la politique d’extension territoriale et d’expropriation des terres basée sur une démarche génocidaire. Puisque ces terres leur appartiennent selon la volonté de Dieu ! Mais cette croyance n’est opposable qu’à ceux qui la partagent. Que se passe-t-il pour les autres ? Et notamment pour les habitants originaires, les Palestiniens ?
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Le principe d’égalité en découle
La reconnaissance des êtres humains comme portant la responsabilité de faire et défaire le pouvoir et les lois, s’accompagne de l’idée que ces êtres sont égaux entre eux. Là encore, cette nouvelle idée est proprement « révolutionnaire ». Elle surgit dans la configuration d’une société qui porte l’héritage de siècles de principe inégalitaire. Assumant comme issue des dessins divins la domination de la noblesse (et du clergé) sur le peuple. Et, encore plus nettement, entre le Roi et toute la population, qui ne constituait pas, à l’époque une « nation ».
Cette idée rompt avec des siècles où le système des statuts prévalait sans contestation et assurait la domination d’une minorité. Des statuts acquis par et avec la naissance. On était immanquablement noble ou roturier. Même si des passerelles complexes s’étaient établies au fil du temps.
Le système de castes en Indes fonctionne sur le même registre du statut, dans sa lugubre rigidité. Voir sur ce point L’équilibre du monde de Rohinton Mistry ==>ICI.
Un long processus
Cette rupture avec les « droits sacrés » des souverains s’opère par à-coups successifs. Elle a connu des retours en arrière en France tout au long du XIX° siècle. Avec la « Restauration » éphémère de la royauté au début du XIX° siècle. Puis avec le retour de l’Empire conduit par Napoléon III au milieu du siècle.
Cette rupture été opérante dans l’histoire de tout le XIX° siècle en France. Les traces qu’elle a laissées au plus profond de la société française sont encore présentes. Aujourd’hui. La « France éternelle » réactionnaire, raciste, esclavagiste, colonialiste, collaborationniste… est-elle en train de se recomposer sous nos yeux ?
Complexité de l’égalité
Faire triompher le principe d’égalité pose de nouveaux et redoutables problèmes aux Révolutionnaires de 1789. La Révolution pose clairement l’égalité des droits politiques. Oui. Même si, à ce stade, on en a exclu les femmes. Tout en incluant dans la communauté des citoyens les Protestants et les Juifs.
Mais qu’en est-il des droits économiques et sociaux ? Du droit de propriété ? De la répartition inégale des richesses qui se confronte brutalement au principe d’égalité ?
La question sociale se pose alors d’une façon balbutiante. Car les concepts pour penser cette « question sociale » ne sont pas encore apparu. Il faudra attendre les penseurs de la seconde moitié du XIX° siècle Proudhon, Marx… pour voir se forger ces outils
Le « Quatrième Etat »
La question de l’égalité sur le plan social s’est posée en toute clarté quand est apparue, aux côtés du Tiers Etat, la masse de ce que l’on n’appelait pas encore les « prolétaires ».
Non, le Tiers Etat ne représentait pas le « peuple », mais la bourgeoisie roturière. Celle du commerce, des métiers de robe (avocats…), des habitant aisés les bourgs (des villes).
Et le « prolétariat » (les « sans culotte ») a joué un rôle majeur, surtout à Paris, dans les moments décisifs du processus révolutionnaire. Comme la marche des femmes à Versailles en octobre 1789 pour ramener à Paris le roi et sa famille. Comme les poussées populaires d’aout 1792 qui vont aboutir à l’abolition de la royauté en septembre.
La Révolution française de 1789 est clairement une révolution bourgeoise. Et la bourgeoisie mettra un siècle à assoir totalement et durablement son pouvoir, sans concession majeure à l’aristocratie.
Le sexe et la couleur
Mais l’émergence du principe d’égalité vient bouleverser deux autres champs de la vie sociale. Celui de l’égalité des êtres humains au regard de leur genre. Et au regard de leur origine.
Pendant la Révolution, des femmes ont payé le prix fort à vouloir l’égalité avec les hommes. Elles ne sont pas éligibles au Parlement. Elles ne peuvent pas monter à la tribune pour prendre la parole. Mais elles peuvent monter les marches de l’échafaud.
C’est Olympe de Gouges [3] qui évoquera cette injustice, avant d’être guillotinée. Avec une haute et prémonitoire vision des « droits de l’homme », elle associera les droits civils et politiques des femmes et l’abolition de l’esclavage des Noirs dans les colonies.
Car l’autre champ concerné par le principe d’égalité qui a émergé dans le processus révolutionnaire, c’est celui des êtres humain en fonction de leur origine
De leur couleur de peau. De leur religion. Comme vis-à-vis des femmes, l’égalité avec les « hommes blancs » va faire l’objet de longues luttes. A ce jour, jamais abouties !
La « politique » dans ce sens nouveau qui a émergé au moment de la Révolution, continue plus de 2 siècle après, à tourner autour des mêmes sujets. Et la question de l’égalité en constitue un pivot essentiel.
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Une immense violence
Cette rupture a été d’une violence inouïe. Dans la vie même de dizaines milliers de personnes exécutées. Dans l’expropriation des nobles et du clergé qui a transféré des propriétés aux mains de l’Etat. Mais aussi dans les consciences avec l’ébranlement de l’église, institution qui structurait l’ensemble du pays, notamment dans sa ruralité. Dans la rue des villes. Dans les châteaux qui ponctuaient de leur arrogance l’immense monde des campagnes. Mais aussi dans les plus petits villages, autour des églises…
Les visages martelés des saints sur les portiques des églises, même les plus petites, forment aujourd’hui un pâle témoignage de cette rage qui a saisi des hommes et des femmes dans cette société française. Une population habituée à courber l’échine sans broncher devant le seigneur local, pendant des siècles. Devant le prélat de la ville proche…
Et cette violence qui s’est déchainée pendant la Révolution donne la mesure de la violence accumulée au sein de la population par les siècles de domination par la noblesse et le clergé.
Une domination dans la complexité de ses composantes. Mais une domination sans échappatoire. Sans issue autre que de franchir la barrière des statuts. Les outils pour penser autre chose n’existaient pas. Tous simplement. On pouvait se révolter à titre individuel. Dans les campagnes, on pouvait s’engager dans une jacquerie locale. Aussi violente qu’éphémère. Alors que les bourgeois dans les villes, qui s’enrichissaient par le commerce et la production, accumulaient d’autres frustrations. Celles de ne pas voir reconnus les pouvoirs que leur enrichissement leur donnait, dans les faits.
Mais aucune vision n’existait pour donner à ces révoltes une perspective globale. Il aura fallu Les Lumières pour éclairer des chemins nouveaux.
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Autre rupture : émergence des nations et conséquences sur les guerres intra européennes
La Révolution française a incontestablement amorcé, sur le continent européen, la naissance de l’idée de nation. C’est l’émergence d’un mouvement d’identification de toute la population à un ensemble culturel, historique, géographique commun. La bataille de Valmy [4] a forgé l’image iconique de cet acte politique. Une armée populaire associée à un territoire a défait une armée classique, dirigée par des nobles et composée de troupes rémunérées, de toutes origines.
Dans le continent européen agité depuis des siècles par d’incessants conflits armés entre seigneurs pour accroitre leur pouvoir et leur territoire, l’émergence des nations a impliqué la masse humaine des populations. Cela a eu pour conséquence de transformer des batailles opposant des dizaines de milliers d’hommes, d’origines diverses, à des guerre opposant des millions d’hommes d’origine commune.
C’est ce qu’a connu par deux fois l’Europe au XX° siècle lors des deux Guerres mondiales. Je laisse en suspens ce point, à nos réflexions !
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[1] La sécularisation désigne le phénomène historique par lequel, depuis la seconde moitié du XVIII° siècle, une séparation s’instaure progressivement entre le domaine religieux et le domaine public. Cela s’accompagne de l’abandon par les Églises de certaines fonctions qu’elles remplissaient dans la société civile et politique. Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[2] La « destinée manifeste » (en anglais : Manifest Destiny) est une expression apparue en 1845 pour désigner la forme américaine de l’idéologie calviniste selon laquelle la nation américaine aurait pour mission divine l’expansion de la « civilisation » vers l’Ouest, et à partir du XX° siècle dans le monde entier. Elle est surtout liée à la conquête de l’Ouest américain.
Cette croyance messianique en une élection divine (prédestination), qui est déjà présente chez les Pères pèlerins puritains arrivés en Amérique sur le Mayflower, est promue aux États-Unis dans les années 1840 par les républicains-démocrates, plus particulièrement par les « faucons » sous la présidence de James Polk.
L’expression Manifest Destiny est apparue pour la première fois en 1845 dans un article du journaliste new-yorkais John O’Sullivan, où il exhortait les États-Unis à annexer la république du Texas. O’Sullivan utilisa cette expression pour décrire le caractère « de droit divin » de l’irréversible colonisation du continent nord-américain par les Anglo-saxons de la côte Est.
Il déclare : « It is our manifest destiny to overspread the continent alloted by Providence for the free development of our yearly multiplying millions. » (« C’est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de notre grandissante multitude. »).
La destinée manifeste des États-Unis est de repeupler le continent et d’y implanter leurs institutions, parce qu’elles sont supérieures à celles venues d’Europe. Cette Manifest Destiny implique pour eux une mission à remplir. Une sorte de mystique de l’expansion, qui marquera culturellement et politiquement les États-Unis.
Le chapitre 9 verset 7 de la Genèse est l’argument biblique qui justifie la Destinée manifeste (« Quant à vous, soyez féconds et multipliez-vous, répandez-vous sur la Terre »).
Cette destinée manifeste s’accomplit essentiellement durant les années 1840, qui furent une période de croissance extraordinaire pour les États-Unis. En 4 ans, le territoire national s’est agrandi de 1,2 million de kilomètres carrés. Soit une expansion de plus de 60 %. Ce processus fut si rapide que les Américains en vinrent à le percevoir effectivement comme un processus inexorable. La destinée manifeste de leur nation étant de dominer le continent. Comme O’Sullivan l’avait prédit.
Les différentes manifestations de la Destinée manifeste ne font que refléter des tendances profondes de la société et de l’idéologie américaines. A savoir l’affirmation d’un messianisme qui puise son inspiration dans la certitude d’une mission à remplir. Mais son accomplissement et la réalisation des États-Unis sous leur forme moderne est également due à une série de causes économiques et sociales. D’après Wikipédia (voir ==> ICI)
[3] Olympe de Gouges, de son nom de naissance Marie Gouze, née en 1748 à Montauban et morte guillotinée le 3 novembre 1793 à Paris, est une femme de lettres, dramaturge et femme politique française. Rédactrice en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle a laissé de nombreux écrits et pamphlets en faveur des droits civils et politiques des femmes. Mais aussi de l’abolition de l’esclavage des Noirs dans les colonies. Elle est considérée comme l’une des pionnières françaises du féminisme, et est souvent prise pour emblème par les mouvements pour la libération des femmes.
Née dans le Sud-Ouest de la France, Olympe de Gouges commence sa carrière de dramaturge à Paris dans les années 1780. Défenseuse des droits de l’homme, elle est l’une des premières figures publiques à s’opposer à l’esclavage en France. Ses pièces de théâtre et ses pamphlets couvrent un large éventail de sujets. Notamment le divorce et le mariage, les droits de l’enfant, le chômage et la sécurité sociale. Elle accueille favorablement le déclenchement de la Révolution française. Mais elle s’estime déçue lorsque l’égalité des droits n’est pas accordée aux femmes.
Olympe de Gouges, associée aux Girondins modérés, s’est opposée à l’exécution de Louis XVI. Ses écrits de plus en plus véhéments, qui attaquaient les Montagnards radicaux de Robespierre et le gouvernement révolutionnaire sous la Terreur, ont conduit à son arrestation. Puis à son exécution par la guillotine en 1793. D’après Wikipédia. Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[4] La bataille de Valmy, est la première victoire décisive de l’armée française pendant les guerres de la Révolution qui éclatent après le renversement de la monarchie des Bourbons. Elle se déroule le 20 septembre 1792, lorsqu’une armée prussienne, commandée par le duc de Brunswick, essaye de marcher sur Paris et rencontre l’armée française en Lorraine. Les généraux Kellermann et Dumouriez, à la tête de l’armée renforcée par la garde nationale, réussirent à arrêter l’avancée prussienne près du village de Valmy. Un lieu situé à l’est de Paris, en Champagne-Ardenne.
Les premiers mois des guerres de la Révolution furent décisifs pour la survie du mouvement révolutionnaire. Après la prise des Tuileries, le 10 août 1792, le Roi est déchu. Il fallait alors élaborer un nouveau système de gouvernement pour la France. Il devait se montrer capable de contenir les élans insurrectionnels des sans-culottes parisiens; capable d’organiser la défense du pays; et en même temps initier un nouveau travail constitutionnel afin de perpétuer le processus révolutionnaire par la formation de nouvelles institutions servant à exprimer le principe de souveraineté nationale proclamé depuis 1789.
La victoire à Valmy devint, pour ces raisons, une victoire psychologique décisive pour la Révolution et ses partisans. L’issue de la bataille est considérée comme « miraculeuse » et est présentée comme une « défaite décisive » de l’armée prussienne. Après la bataille, la nouvelle de la victoire engendre, à Paris, un mouvement de joie sans précédent. Et pousse les députés de l’Assemblée nationale à y voir un signe annonciateur de temps nouveaux. La représentation nationale proclame l’abolition de la monarchie en France dès le lendemain de la bataille, le 21 septembre. Dans la foulée, le 22 septembre est prononcé l’avènement de la Première République. L’Assemblée se renomme alors la Convention nationale, avec pour but d’écrire la constitution de la Première République française. Valmy permet donc à la Révolution de se maintenir. La victoire démontre que la nation en armes était désormais capable de se défendre seule, sans son roi.
Cette victoire, militairement modeste, témoigne de la capacité des premières institutions révolutionnaires à assurer la survie de la nation comme substance politique. Pour cette raison, la victoire de Valmy est considérée comme l’une des batailles les plus décisives de l’Histoire de France. D’après Wikipédia.
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