« La ville introuvable » – 1/2 – YU Hua. L’auteur nous avait enchanté avec son roman loufoque, incisif, cruel : « Brothers ». Une note de lecture en a été faite : voir ==> ICI.

Pour ce roman « La ville introuvable », nous choisissons d’en faire une note de lecture en deux parties. La première, ici présentée, est centrée sur Lin Xiangfu, un petit seigneur rural dans la Chine profonde.

Le roman précédent, « Brother », commençait en fanfare. Avec une histoire drolatique qui nous présentait les deux frères, héros contrastés de la révolution capitaliste de la Chine. Une histoire de lune et de caca. Le roman avait fini avec une tout autre histoire de lune et de fusée. Après un parcours dans le cynisme de l’éveil du pays à la mondialisation libérale.

« La ville introuvable – 1 » de YU Hua commence dans une tout autre atmosphère. Nous sommes dans la Chine du début du XX° siècle. L’empire vient de s’effondrer. Dans les premières pages du récit, cet effondrement n’affecte que peu la vie des campagnes où le roman de déploie. Ce sont les tornades dévastant récoltes et villages, les interminables tempêtes de neige, qui forment les évènements dramatiques qui rythment la vie des paysans. Des villageois, écrasés par le travail, toujours dans l’inquiétude de se nourrir. Dans la soumission totale aux hiérarchies. Dans l’ignorance de la vie dans la ville. La faim est toujours proche.

Mais le roman va prendre une autre tournure quand Yu Hua fait entrer des brigands dans le récit. Les brigands qui terrorisent les villageois. Tandis que des morceaux d’armées qui se déchirent pour le pouvoir. On retrouve dans ces lignes l’auteur de « Brothers ». Cruauté, absurdité, rebonds les plus inattendus se retrouvent dans le fil de la narration !

Celle-ci se noue autour d’un personnage : Lin Xiangfu. L’homme vit une étrange histoire d’amour avec une jeune femme, comme tombée du ciel, qui a débarqué dans sa maison, dans sa vie. Xiaomei, c’est elle, arrive et disparait une première fois. Emportant une partie des lingots d’or que Lin Xiangfu et sa famille ont accumulé depuis des siècles. Elle revient, enceinte de Lin Xiangfu pour mettre au monde son enfant. C’est une fille. Mais quelques mois après, elle s’envole à nouveau. Lin Xiangfu part à sa recherche, dans le Sud de la Chine. Avec son enfant enveloppé dans un porte bébé. Passant de femme allaitante en femme allaitante pour nourrir l’enfant. Où est passée Xiaomei ?

-1- Histoire de Lin Xiangfu

Nous vivons le récit avec les yeux de cet homme sincère et courageux

Au début du roman, Lin Xiangfu vit seul dans sa grande maison. Ses parents sont morts. Et il ne manque pas de se recueillir régulièrement sur leur tombe, dans le plus grand respect. Il les prend à témoins de ses engagements, de ses vœux. De ses erreurs aussi, qu’il concède devant eux.

Lin Xiangfu a hérité de terres agricoles conséquentes. C’est un homme riche. Le plus riche dans un rayon de plusieurs centaines de li[1]. Il ne se contente pas d’exploiter sa propriété, en prenant part, lui-même, aux travaux des champs. Il est aussi devenu un ébéniste compétent. Une entremetteuse le met régulièrement en contact avec des jeunes femmes de bonne famille pour un mariage. Mais l’affaire ne se fait pas. Lin Xiangfu est bien maladroit !

Quand Xiaomei débarque chez lui, avec un jeune homme qu’elle présente comme son frère, elle trouve doucement sa place auprès de Lin Xiangfu. D’autant que le frère en question est parti et ne revient pas.

Il y a dans le récit un large pan de mystère

D’où viennent ces deux êtres qui ont débarqué dans la vie de Lin Xiangfu ? Deux jeunes personnes qui parlent une langue que Lin Xiangfu ne comprend pas. Une langue du Sud du pays. Une fois installée, pourquoi Xiaomei a-t-elle disparu avec la moitié des lingots d’or ? Qu’en a-t-elle fait ? Après son retour (enceinte) et la naissance de sa fille, pourquoi s’enfuit-elle nouveau ? Est-elle revenue dans cette ville du Sud ?

Lin Xiangfu part à sa recherche, avec sa fille en bandoulière. A la recherche de cette ville. Une ville introuvable, car personne ne sait où se trouve Wencheng[2]. Le nom qu’a donné Xiaomei comme lieu de sa provenance. Existe-t-elle, cette ville ?

Le récit, l’écriture

Au fond, ce début du récit ne rebondit pas aussi haut et aussi fort que le roman Brother. Le fil des évènement s’est assagi. L’écriture est tout aussi précise, fourmillant de détails. Les différents métiers du bois. Bois durs et bois tendres. Les rituels de mariage dans la campagne. Les vêtements courants, rapiécés. Et ceux que l’on porte dans les grandes occasions. Les multiples sortes de vins des provinces de l’immense Chine… La description des tempêtes dévastatrices qui secouent régulièrement le campagnes.

Au fil de la lecture, on entre dans l’intimité de Lin Xiangfu, dans ses doutes, ses espoirs. Cela se fait au jour le jour, dans les détails de la vie. Des détails sans importance. Il porte avec lui son bébé. A la recherche de nourrices. Une tâche de lait sur sa veste, des pleurs, l’âne fidèle avec son pompon rouge et sa clochette. Mais dont il faut se séparer pour franchir un grand fleuve…

Des éclats d’écriture

Au détour d’un paragraphe, on perçoit comme un rayon de lumière. Comme un éclair d’humanité. Emotion fugace que je traque dans la vie. Mais aussi dans la littérature. Et que je cherche à consigner sur mon site. Voir ==> ICI

Xiaomei et son frère se présentent au seuil de la maison de Lin Xiangfu. Ils viennent de loin, du Sud. Ils parlent entre eux une langue incompréhensible. (p 19) « La jeune femme [Xiaomei] qui se tenait derrière l’homme [son frère] commença à défaire son fichu où les motifs blancs se détachaient nettement sur le fond bleu, tout en fixant Lin Xiangfu avec un visage timide et souriant. Lin Xiangfu découvrit un beau et doux visage où se reflétait la lumière du couchant et qui s’inclinait légèrement à droite tandis que la jeune femme ôtait son fichu. Ce geste qui passa comme un éclair l’émut profondément[3]. »

Des moments d’une écriture délicate et puissante

YU Hua décrit le moment où Lin Xiangfu et Xiaomei se retrouvent sur le même kang[4], réunis par la frayeur causée par un orage qui s’est déchainé sur la maison. Des grêlons gros comme une bassine ont troué le toit de chaume.

(p 31) « (…) il s’approcha du kang de Xiaomei, et à la lueur de la lune il la vit couchée sur le flanc, enveloppée dans sa couverture. Son corps recroquevillé ne bougeait pas. Lin Xiangfu hésita un court instant, avant de se coucher sans bruit à côté d’elle. Il écoutait sa respiration légère et régulière. Il tira tout doucement la couverture qui enveloppait le corps de Xiaomei pour s’en recouvrir avec elle. A cet instant, Xiaomei se retourna et nagea jusqu’à lui tel un poisson[5]. »

Lin Xiangfu quitte sa maison, ses terres à la recherche de sa femme

Elle est partie une seconde fois, en laissant son bébé. Pourquoi ? Vers Où ? Lin Xiangfu part à sa recherche avec l’enfant. Dans sa quête de Xiaomei, il s’établit dans une petite ville, Xizhen, qu’il soupçonne être celui des origines de son épouse. Il arrive un jour où une tempête de neige paralyse la ville depuis 18 jours. Il erre à la recherche de quelques gouttes de lait pour sa fille.

Une famille l’accueille et il s’y établit. La femme, Li Meilian, a deux garçons. Elle devient la mère nourricière de Lin Baijia, la fille de Lin Xiangfu. Peu à peu, celui-ci s’installe dans la ville. Il commence par réparer gracieusement les portes et fenêtres mises à mal par la tempête. Puis ouvre avec Chen Yongliang, l’homme de la famille accueillante, une menuiserie qui se développe rapidement. Les années passent. La relation entre les deux hommes se renforce.

Lin Xiangfu s’enrichit. Il acquière des terres aux alentours. Sa menuiserie tourne à plein régime. Mais il ne trouve aucune trace de Xiaomei. Va-t-il connaitre un jour le mystère qui entoure cette femme et ses disparitions soudaines ?

La vie s’écoule calme et paisible

Lin Xiaomei décide d’enseigner l’écriture à sa fille Lin Baijia, mais aussi aux deux garçons de son associé Chen Yongliang. Le notable du village, chef de la Guilde des commerçants, Gu Yimin, envoie ses deux filles dans cette petite classe qui s’est constituée. Les grands textes sont mis au programme. Lin Xiaomei se consacre à sa nouvelle activité d’enseignant.

« La ville introuvable » - 1 de YU Hua Couverture du livre

Les fiançailles gâchées

Gu Yimin, le riche notable de la ville et Lin Xiangfu s’entendent pour marier leurs enfants. Le premier a quatre garçons. Des petits démons qui jouent avec les prostituées cachées derrière le théâtre. Lin Xiangfu accorde la main de sa fille à l’ainé de ces garçons, Gu Tongnian. Une grande fête est organisée. Mais…

Le jour de la fête des fiançailles, des brigands arrivent dans le village, et emmènent Lin Baijia toute parée de rouge pour l’évènement. Li Meilian demande à son fils ainé de les suivre et de se constituer otage à la place de Lin Baijia. Ce qu’il fait sur le champ, arguant devant les brigands que sa valeur marchande, comme garçon, est bien plus importante que celle de la fille.

Le récit retrouve à ce moment le caractère trépidant du roman Brother !

Le chaos

Au loin, on commence à entendre le bruit des désordres qui s’installent dans le pays. Deux armées concurrentes s’affrontent. Tandis que, profitant de l’insécurité créée par ces batailles incessantes, des brigands sillonnent les campagnes, enlevant des villageois qu’ils restituent contre de lourdes rançons.

La violence s’installe

D’un côté, les brigands qui appliquent à leurs otages les pires supplices. YU Hua décrit avec force détails ces atrocités qui s’abattent sur les corps des villageois. Véritables proies enchainées, attendant le paiement des rançons demandées.

De l’autre, les armées en guerre qui dévastent les campagnes et provoquent la fuite de milliers de paysans. Ces réfugiés se déversent sur les routes, fuyant les soldats. En cohortes désordonnées, ils traversent la ville de Xizhen, provoquant une panique générale. Certains des villageois décident de fuir sur des radeaux de bambous qu’ils construisent à la hâte. Mais ces piètres embarcations se disloquent et nombre de villageois disparaissent dans les flots glacés de la rivière.

Accueil et régalade des soldats

Une des deux armées en conflit se pointe à l’horizon du village. Plutôt que fuir, le chef de la Guilde décide de rester et d’accueillir les soudards, dépenaillés, par des festins et des cadeaux. Trois jours de festivités, de bombance, de volupté dans le bordel de la ville… Pendant que les villageoises confectionnent des vestes matelassées pour les officiers et les soldats.

L’armée quittent le village, repue et reposée. Le pire a été évité.

« La ville introuvable -1 » de YU Hua décrit le mécanisme du chaos qui se développe sur fond d’absence d’Etat

Devant l’insécurité croissante, une succession de décisions « rationnelles » s’enchaine pour accroitre l’entropie du système. Ainsi, Gu Yimin, qui est de fait le dirigeant du village, décide de créer une milice avec les habitants. Il recrute un chef pour cette milice, qui opère une sévère sélection des 30 hommes qui la composeront. Parmi ceux-ci, une majorité des ex-otages s’est présentée est a été retenue.

Mais la création de cette milice créé une forte demande pour des armes. Et nombre de villageois se transforment en marchand d’armes. La primauté que l’on peut accorder aux lois du marché fait que ces marchands fournissent indistinctement la milice et les brigands qui continuent de prospérer avec l’accroissement du désordre.

Yu Hua nous fait revenir sur l’intime

Un semblant de sécurité se rétablit néanmoins au village. L’auteur nous ramène auprès de Lin Xiangfu, de sa fille, et de la belle alliance qu’il a noué avec la famille de Li Meilian et de Chen Yongliang.

De forts sentiment se nouent entre Lin Baijia et le fils ainé de Chen Yongliang. Le garçon qui est parti otage à sa place. Et qui est revenu avec une oreille en moins. Avec une mélancolie et un isolement que seule Lin Baijia soulage. Les parents du garçon ont surpris des gestes du fils. Le père décide de quitter la ville et de s’établir ailleurs. Lin Xiangfu lui a donné une partie des terres qu’il a acquises dans la région depuis son installation dans le village.

Lin Xiangfu, lui aussi, veut mettre une distance entre sa fille et le fils de Chen Yongliang. Il emmène sa fille faire des études dans une école religieuse de Shanghai.

Mais les brigands nous ramènent à l’histoire sanglante de la ville

Celle-ci s’est barricadée en créant des remparts et 4 portes, aux points cardinaux. La bande d’un brigand, forte de près de 100 hommes, veut l’investir et en fait le siège. Une bataille féroce et théâtrale s’engage. Les brigands sont en fuite, mais la milice a été décimée et son chef tué.

Des épisodes de lutte entre brigands et villageois s’enchainent

Le roman prend alors une allure « de cape et d’épée ». Mais les personnages demeurent toujours dans la complexité humaine et l’action dans sa maladresse.

Gu Yimin est enlevé par la bande de brigands qui ravage la région. Il subit d’horribles tortures. Une rançon de 30 fusils est demandée à la ville de Xizhen. C’est Lin Xiangfu qui se propose pour aller la porter. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Gu Yimin est délivré par les villageois. Ce qui provoque une terrible répression des bandits qui massacrent tous les habitants du village où il était détenu.

En apportant la rançon aux brigands, Lin Xiangfu est poignardé à mort par leur chef

Son corps est ramené à Xizhen où la population l’honore. Tandis que Gu Yimin retrouve lentement la santé après ses terribles épreuves. Entourée de sa femme et des ses concubines.

Chen Yongliang promet de venger son ami assassiné. Il jure de « rendre son couteau au chef des brigands ». Couteau qui était resté planté dans le cou de Lin Xiangfu. C’est ce qu’il fait.

Les frères Tian, à qui Lin Xiangfu avait confié sa maison et ses terres dans le Nord, viennent chercher leur « jeune maitre ». Ils le retrouvent mort. Ils ramènent alors son corps dans son village natal.

La pays est dévasté par les guerres, les brigandages. Il sombre dans la misère. (p 322) « Personne ne travaillait plus dans les champs. On apercevait de loin quelques frêles silhouettes de vieillards. »

C’est ici la fin de la première partie de « La ville introuvable -1 » de YU Hua

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YU Hua (écriture simplifiée : 余华 ; écriture traditionnelle : 余華) est un écrivain chinois né en 1960 à Hangzhou dans la province de Zhejiang. Après avoir exercé comme dentiste pendant cinq ans, YU Hua choisit de se consacrer à la littérature. Son deuxième roman Vivre ! (1993) a été adapté au cinéma. Un film qui a reçu le Grand Prix du jury au festival de Cannes en 1994. Un autre de ses romans Brothers a connu un grand succès. Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yu_Hua

Je note que l’écrivain égyptien Alaa Al Aswany a également commencé son activité comme dentiste ! Alaa al-Aswany (arabe : علاء الأسواني), né en 1957 au Caire, est un écrivain égyptien exerçant la profession de dentiste au Caire.

Né dans une famille intellectuelle, d’un père écrivain et d’une mère issue d’une famille aristocrate, il a fait ses études secondaires dans un lycée égyptien de langue française et a également étudié la chirurgie dentaire aux États-Unis. Il contribue régulièrement aux journaux d’opposition et est proche des intellectuels de gauche, en particulier de Sonallah Ibrahim. Il est l’un des membres fondateurs du mouvement d’opposition « Kifaya » (Ça suffit) qui réclame des élections présidentielles réellement libres.

Son roman L’Immeuble Yacoubian, paru en 2002, est un véritable phénomène d’édition dans le monde arabe. Il est rapidement traduit dans une vingtaine de langues. Et fait l’objet d’adaptations cinématographiques et télévisuelles. Il décrit la vie foisonnante d’un édifice autrefois grandiose du centre-ville du Caire, où les habitants font face à la corruption oppressante du régime et à la montée de la pression islamiste. Il enchaîne avec le roman Chicago, paru en 2006, qui dépeint la vie des étudiants arabes aux États-Unis après les événements du 11 septembre 2001. Ce livre connaît également un énorme succès de vente.

Son habileté à capturer la vie foisonnante de l’Égypte dans toute sa diversité a amené des comparaisons au Prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz.

[1] Unité de mesure de distance chinoise qui a beaucoup varié selon les régions et les époques. La valeur fixée par le gouvernement nationaliste chinois en 1915 est de 1 800 pieds chinois (environ 576 mètres). Peut désigner aujourd’hui une distance de 500 mètres. (Wikipédia)

[2] Voici ce que Wikipédia nous dit sur Wencheng. Lin Xiangfu, dans le roman, ne disposait pas de Wikipédia. Le xian de Wencheng (文成县) est un district administratif de la province du Zhejiang en Chine. Il est placé sous la juridiction administrative de la ville-préfecture de Wenzhou.

[3] C’est moi qui souligne.

[4] Un kang (chinois : 炕) est un espace surélevé, constitué traditionnellement de briques ou d’éléments en terre cuite et plus récemment en béton, et servant d’espace de vie pour les activités de la journée mais aussi de lit pour passer la nuit. On en fait traditionnellement usage dans la partie septentrionale de la Chine où le climat peut être rude durant les hivers. Le kang contient un système de chauffage qui chauffe la pièce et l’endroit où dormir. (Wikipédia)

[5] C’est moi qui souligne.