« L’Afrique n’a personne à rattraper »
Cette petite phrase tirée du texte résume la démarche exposée et proposée dans cet ouvrage. L’auteur commence en effet par déconstruire les concepts que le Nord projette inlassablement sur le Sud. Au point d’avoir forgé l’imaginaire dominant au Nord. Mais aussi au Sud sur ce qu’il convient de faire dans les « pays pauvres » . « Développement, émergence économique, croissance, lutte contre la pauvreté… ».
On peut ajouter d’autres mots, comme « économie ». L’économie a été en effet instituée partout comme référent dominant dans le champ des régulations et des imaginaires sociaux. Soumettant à ses « lois » [1] les champs du politique, du social, du religieux, du culturel. Mais aussi le sport, la recherche scientifique, l’art… On pourrait ajouter aussi « universel ». Un mot se confond, depuis le début les Lumières jusqu’à aujourd’hui, avec la domination du Nord sur le reste de la planète. Et tout spécialement sur l’Afrique. L’ensemble de ces concepts forme comme une camisole de force dans laquelle on cherche à faire entrer les sociétés africaines. Et cela ne marche pas !
Pour Felwine Sarr, c’est aux Africains de forger les mots, les concepts qui caractérisent les sociétés africaines
Cela nécessite d’ouvrir le chantier des sciences humaines pour lire l’Afrique avec un regard nouveau [2], notamment l’histoire, mais aussi l’économie, la philosophie…. Et c’est seulement avec ses propres mots, avec ses propres concepts, que l’Afrique inventera sa modernité. Et cette modernité ne sera pas une tentative de décalquer celle (aujourd’hui fatiguée) qui a porté l’Europe au faîte de sa puissance militaire, technologique, organisationnelle, au XX° siècle. C’est seulement avec ses mots, ses concepts, que l’Afrique participera pleinement à l’aventure humaine en l’enrichissant de ses propres valeurs retrouvées et valorisées, de ses innovations.
Afrotopia : un livre-manifeste, une vision
Un cadre de travail proposé à tous ceux qui ne se satisfont pas du monde tel qu’il va. Et (mais c’est étroitement lié) tel qu’il est raconté par les voix dominantes. L’ouvrage se situe donc à rebours de la « pensée standard ». Une pensée qui définit l’Afrique (mais aussi tous les pays du Sud) par ses manques, en prenant les pays du Nord comme référence. Comme destin unique et ultime de toutes les sociétés de la planète. Une pensée qui fait du Sud, et tout particulièrement de l’Afrique, le continent à la marge de l’Europe. En marge de l’Histoire. Qui fait de l’Afrique vue d’Europe le continent source de tous les dangers. De toutes les peurs, par sa démographie, par ses jeunes qui monteraient à l’assaut de l’Europe vieillissante.
L’Europe, en crise, n’est plus le maître du monde
Une Europe repue, inquiète, divisée socialement, qui écoute les sirènes funestes du fascisme renaissant. Une Europe qui aborde une période radicalement nouvelle dans son histoire. Celle où elle n’est plus maître du monde [3]. Celle où elle n’est plus seule à dicter ses règles. A imposer ses modes de penser en étendant son commerce et sa finance, ses technologies, ses crises, ses guerres (2 furent Mondiales), ses agressions contre l’environnement…
Saisissons-nous de cette invite à nous reprendre en main
Il s’agit bien de nous ré-ancrer dans notre histoire, dans notre géographie, et ce, d’une façon ouverte. Plus que jamais, soyons « Ancrés et Ouverts à la fois ! »
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Le temps de l’Afrique ==> ICI
[1] C’est d’avoir réussi à faire croire que les idées tirées de la théorie économique néo-classique étaient des « lois ». Des lois qui s’imposent à tous les êtres humains. Pour les néo-classiques, « l’homo œconomicus », est un être rationnel et identique en tous temps et en tous lieux. La culture, l’histoire, n’existent pas. Voir sur ce point Karl POLANYI : « The Great Transformation », 1944. Traduction française : « La Grande Transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps », préface de Louis Dumont, Gallimard, Paris, 1983. Sur Karl Polanyi voir ==> ICI
[2] Avec Achille Mbembe, Felwine Sarr anime un mouvement d’intellectuels africains qui ont produit, à l’issue des « Ateliers de la Pensée » tenus à Dakar et St Louis en 2016, un ouvrage collectif nommé « Ecrire l’Afrique-Monde ». Lire cet ouvrage, roboratif, rafraîchissant, c’est s’engager dans ce renouveau. Sur les « Ateliers de la Pensée », cliquer ==> ICI
[3] Directement ou via les Etats Unis. Les USA, fils rebelle de l’Europe devenus pendant une bonne partie du XX° siècle, les maîtres absolus du monde.
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2 Commentaires
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Bonjour, Monsieur
Merci pour cette excellente synthèse. L’Afrique n’a à rattraper personne. L’Afrique vidée de ses multiples sèves a été laissée seule face un destin détourné vers des évolutions qui ne sont pas les siennes. 60 ans après les décolonisations la majorité des pays du continent patinent dans le sous développement et son lot de privations et de difficultés. L’Afrique doit emprunter le chemin qui décolonise son esprit, se démarque de l’influence des anciennes puissances coloniales et s’impose par sa spécificité dans le concert des nations. Dans ces évolutions, demain l’Afrique sera le centre de la croissance, tout reste à entreprendre.
Bonjour Monsieur,
En effet, nous devons travailler à renouveler « le logiciel » de pensée qui a conduit à la situation mondiale actuelle. Nous mesurons les difficultés et les obstacles à surmonter, à commencer par la résistance des tenants des ordres établis ici et là, et notamment des grandes firmes multinationales qui mènent une grande partie du jeu mondial. Les jeunesses du monde, et tout particulièrement celles des pays autour de la Méditerranée, aspirent fortement à « autre chose ». Allons nous maintenir le couvercle sur la cocotte-minute?