Accroitre le privilège d’empire ? Jusqu’au second mandat de Donald Trump, les Etats Unis étaient parvenus, avec la domination monétaire du dollar, à faire financer leurs déficits par le Reste du monde depuis le début des années 1970. Autrement formulé, les déficits commercial [1] et courant [2], que les marchés ne sanctionnent pas, accumulaient année après année une dette que les Etats Unis ne remboursement jamais dans sa masse.
Car depuis aout 1971, les dirigeants américains ont décrété la fin de la convertibilité du dollar en or. Autrement dit, que les dollars (papier) détenus ne pourraient plus être convertis en or (métal).
Qu’en est-il aujourd’hui (à la mi 2025) avec les bouleversements provoqués par l’élévation unilatérale (arbitraire et différenciée selon les pays) des droits de douane décrétés par le président Donald Trump ?
Depuis 1971, les déficits des Etats Unis se sont creusés
Le graphique[3] ci-après montre clairement le creusement des déficits en flux annuels après 1971. En vert, la courbe du déficit commercial. Et en rouge, le déficit courant (1970-2024)
En cumulé, ces flux annuels négatifs concourent à la formation d’une dette (un stock) des Etats Unis vis-à-vis du Reste du monde. La dette formulée en Bons du Trésor américain fait l’objet d’un marché au niveau mondial. Elle a donc un prix, une valeur. Mais la dette exprimé simplement en dollars, qui s’entasse dans les réserves de change des banques centrales du reste du monde ou dans les trésoreries des entreprises est différente. Cette dette dans sa masse ne sera jamais remboursée. C’est le « privilège d’empire » imposé par le détenteur, en position de monopole de la monnaie de réserve. Le dollar !
Quel est « l’échange » alors ? LA DETTE CONTRE LA SECURITE
On a pu considérer que cette dette vis-à-vis du Reste du monde comme la contrepartie de la sécurité que les Etats Unis avaient assuré jusqu’en 1990 au « monde libre » face au monde communiste animé par l’URSS. Nous avons également montré qu’après la dislocation de l’URSS, la « sécurité » que les Etats Unis étaient supposé assurer s’était transformée en « insécurité » majeure, avec le déclenchement des guerres au Proche Orient sur des motifs fallacieux. Ainsi de l’envahissement de l’Iraq au prétexte d’un armement nucléaire qui n’existait pas. Ainsi de la guerre contre la Libye pour « protéger les démocrates libyens » réprimés par Kadhafi au moment des « Printemps arabes ». Ces interventions militaires ont provoqué des désastres dans les pays visés, et bien au-delà. Dans tout le Proche et Moyen Orient, dans la région méditerranéenne (explosion des migrations depuis la Libye vers l’Italie) et sahélienne (exportation du jihad vers l’Afrique de l’Ouest).
Au total, depuis 1990, les USA ont accru fortement l’insécurité dans la grande région Europe Proche-Orient Nord et Ouest de l’Afrique.
Alors, dans ces conditions, pourquoi continuer à financer largement à fonds perdus la dette américaine ? Pourquoi continuer à financer sans perspective de remboursement ce qui est en fait le surplus de consommation de la société américaine ? Un surplus qui est cause, par ailleurs de l’accroissement du dérèglement climatique ?
Sur cette question de sécurité, l’Europe est bien faible face aux diatribes de Trump sur la faiblesse de ses dépenses de défense. De fait, l’Europe et le reste du monde ont déjà largement payé aux Etats Unis sa « sécurité » jusqu’en 1990. Et depuis, son « insécurité ».
Dans cette situation, que signifie le bouillonnement douanier actuel engagé par Donald Trump ?
La donne pourrait-elle avoir changé avec la fureur douanière du président des Etats Unis depuis son retour au pouvoir en janvier 2025. ? Cette « inflation douanière » arbitraire et désordonnée ne vise pas, bien évidemment, à limiter le privilège d’empire des Etats Unis.
L’arsenal douanier brandi par Trump poursuit plusieurs visées
Le principal, annoncé comme promesse de campagne, serait le retour sur le sol américain de productions antérieurement délocalisées. Pour créer ou recréer des jobs perdus dans l’industrie. Une vision « mercantiliste » primaire. Dont il s’avère difficile de mesurer les effets tant la mondialisation a interconnecté les chaines de production.
Sans doute y a-t-il un enjeu que l’on pourra it qualifier de « sectoriel ». Trump soutient fortement les industries basées sur les énergies fossiles. Les délocalisations des années passées ont affecté surtout ces industries. Mais les chaines de valeurs sont tellement intriquées, mobilisant des ressources numériques, énergétiques, financières… Il est bien hasardeux d’en démêler les enjeux sectoriels.
Au-delà des effets de court terme sur l’inflation, il faudra attendre quelques années pour évaluer les effets sur l’économie réelle des bouleversements douaniers à l’œuvre. Sur l’économie des Etats Unis, mais aussi sur celles des autres pays du monde.
Des visées politiques
Ce chaos douanier a par ailleurs des objectifs directement politiques. Il s’agit de « punir » des pays qui manifesteraient des orientations contraires aux vue de Trump. La Chine est dans ce cas, mais elle dispose d’un haut pouvoir de négociation. De ce fait elle a été relativement épargnée. Mais pas le Brésil qui sanctionne la tentative de coup d’Etat du leader d’extrême droite, Bolsonaro, un proche de Trump. Et l’Afrique du Sud qui a fâché Trump en saisissant saisi la Cour de Justice Internationale contre la politique israélienne à Gaza[4]. Et accusée par lui d’une apartheid contre les propriétaires fonciers Blancs.
A ce stade, impossible de savoir comment le « privilège d’empire » va évoluer sous l’effet de ces bouleversement
Va-t-il se conforter ? S’effriter ? Comment les autres acteurs, Chine en tête, vont-ils agir ?
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Sur le « Privilège d’empire », voir ==> ICI
[1] La balance commerciale est le compte qui retrace la valeur des biens et des services exportés et la valeur des biens et des services importés. On peut parler de déficit commercial lorsque la valeur des importations d’un pays dépasse celle des exportations. Le solde de sa balance commerciale est alors négatif.
[2] La balance courante d’un pays est la somme de sa balance commerciale, c’est-à-dire des flux monétaires résultant des échanges de biens et services de ce pays avec l’étranger, de sa balance des revenus et de sa balance des transferts courants. Le solde de la balance courante, quand il est négatif (déficit), doit être financé par des entrées de capitaux.
[3] Source : World Development Indicators (WDI) d’après des informations du FMI. Extraction en aout 2025. Pour accéder aux WDI ==> ICI
[4] La Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu un verdict le 26 janvier 2025 sur le premier volet de la plainte déposée le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud contre Israël pour « génocide » à Gaza. Elle a ordonné vendredi qu’Israël prenne immédiatement des mesures pour garantir que son armée ne viole pas la Convention sur le génocide. Source ONU. Pour en savoir plus, voir ==> ICI
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