Migrations et développement : fantasmes et réalités d’une pratique sociale universelle – Jacques Ould-Aoudia

Texte intégral publié dans : Mohsen-Finan, Khadija, éditeur. Le Maghreb dans les relations internationales. CNRS Éditions, 2011, p 99-130

 Cet article, publié en 2011 sur le site de CNRS Editions, est accessible ==> ICI

1 La migration fait l’objet de multiples fantasmes dans les imaginaires de tous les pays concernés, qu’ils soient pays de départ, d’arrivée ou de transit – autrement dit dans la quasi-totalité des pays du monde. Elle est presque toujours abordée comme un « problème », une question difficile à laquelle les sociétés ne trouvent pas de réponse. Que signifient véritablement les départs des migrants et comment compenser la perte qu’ils constituent pour les pays d’origine ? Quelles conséquences ont ces arrivées de migrants jeunes dans les sociétés vieillissantes et comment contrôler cet afflux ? Confrontation avec l’autre, la migration produit en fait un effet miroir. Elle évalue chaque société à la mesure de ses capacités, de son dynamisme propre : capacité de développement pour les sociétés de départ, capacité à aborder l’avenir avec confiance et à s’ouvrir pour les sociétés d’accueil. Les politiques publiques sont alors hésitantes et/ou prisonnières d’enjeux qui dépassent le champ de la migration.

2 Ce renvoi à des enjeux profonds, mobilisant les constructions imaginaires conscientes et inconscientes, explique pourquoi la migration, souvent instrumentalisée à des fins politiques, fait l’objet d’une extrême simplification dans les énoncés publics des phénomènes à l’œuvre, et souvent dans les politiques publiques qui en résultent : on isole délibérément un nombre limité de facteurs qui permettent de tirer des conclusions aussi générales qu’erronées. Ces simplifications sont d’autant plus aisées que la migration est en soi un phénomène contradictoire, qu’il soit appréhendé au niveau des individus ou bien des sociétés de départ et d’accueil.

3 Nous n’avons pas pour ambition de présenter en détail l’ampleur du fait migratoire et de ses multiples déclinaisons. Notre propos est ici de lever le voile sur une part de sa complexité, au travers d’une réflexion d’économiste éclairant quelques-unes des facettes de ce phénomène et leurs aspects contradictoires, puis en montrant que le lien entre migration et développement du pays d’origine ne va pas de soi. Ensuite, en s’appuyant sur les enseignements d’une expérience d’acteur engagé au sein de « Migrations & Développement » (M & D), organisation non gouvernementale (ONG) de développement portée par des migrants marocains vivant en France, nous témoignerons des pratiques des migrants et de leur impact en termes de développement sur leur région d’origine (au travers des transferts de toute nature, financiers et non financiers, qu’ils effectuent). Enfin, nous verrons comment les politiques publiques, au Nord comme au Sud, pourraient gagner en efficacité en intégrant la complexité des situations spécifiques à chacun des pays et même à chacune des diasporas présentes sur le territoire, et comment elles pourraient prendre en compte la nécessaire cohérence de leurs diverses composantes, nationales (éducation, santé, marché du travail) et internationales (politiques commerciales, coopération et aide au développement).

Une réalité migratoire complexe et contradictoire

4 Nous présentons ici quelques aspects non exhaustifs des phénomènes migratoires contemporains, en insistant sur leur diversité et leur caractère contradictoire, pour donner une mesure de la complexité que les politiques publiques doivent intégrer.

Migrations et exode rural

5 Tout d’abord, il convient d’analyser les migrations dans toutes leurs dimensions spatiales. La migration internationale n’est souvent que le prolongement de l’exode rural qui, après avoir concerné les pays actuellement développés d’Europe, affecte tous les pays en développement. Elle doit s’analyser le plus souvent à l’échelle infranationale. Les phénomènes migratoires se comprennent mieux quand on les appréhende dans leur entièreté, migrations internes comprises2.

6 En outre, une question d’échelle d’observation se pose : les logiques migratoires agissent le plus souvent à des niveaux infranationaux et sont très différentes selon les régions d’émigration. Il en est ainsi, par exemple, pour la région de Kayes au Mali, dont les caractéristiques migratoires ne sont pas généralisables à l’échelle nationale. De même, les migrations en provenance des régions du Souss et du Rif marocains relèvent de logiques différentes, et ne résument pas à elles seules la migration marocaine.

7 Au Nord, il arrive souvent que les migrations soient concentrées sur des territoires limités : c’est le cas des Comoriens massivement regroupés en France dans les Bouches-du-Rhône, des Maliens de Kayes rassemblés dans la ville de Montreuil, des migrants marocains originaires de l’oasis de Figuig, proche de la frontière algérienne, qui se retrouvent dans le département de Seine-Saint-Denis. L’expression « corridors migratoires » traduit bien ce phénomène, qui associe non pas deux pays (le Mali et la France) mais deux régions délimitées dans chacun des espaces (la région de Kayes et la ville de Montreuil).

Diversification des migrations

8 Les migrations ont connu depuis trente ans une extraordinaire diversification des provenances et des destinations, mais aussi des profils des migrants. Les corridors de migration traditionnels reliant les anciennes colonies aux métropoles se sont élargis. Apparaissent des mouvements migratoires de Sri Lankais, de Pakistanais, d’Indiens, de Ghanéens, d’Égyptiens vers la France ; de Marocains, d’Algériens, de Tunisiens vers l’Italie, la Grande-Bretagne, le Canada, les États-Unis ; de Chinois vers tous les continents. De nouvelles destinations pour les migrants se sont fait jour : les pays pétroliers du golfe Persique attirent des migrants des pays arabes à la recherche d’emplois qualifiés mais aussi et surtout des migrants d’Asie du Sud et des Philippines non qualifiés. Les types de population concernés se sont aussi diversifiés : femmes et personnes instruites s’ajoutent aux jeunes hommes peu qualifiés qui constituaient les plus gros contingents de migrants jusqu’à la fin des années 1970.

Migrations et développement : fantasmes et réalités
Photo reproduite, prise au Musée National de l’Histoire de l’Immigration, au Palais de la Porte Dorée, Paris XII°

Brain drain

9 La migration des cerveaux (brain drain), qui s’est intensifiée, a des effets très variés sur les pays d’accueil et d’origine. La fuite des cerveaux affecte négativement les pays les plus pauvres 3. Plus précisément, le niveau de développement économique des pays du Sud favorise la fuite des cerveaux, jusqu’à un certain seuil. Pour les pays en plein essor économique, comme la Chine et l’Inde aujourd’hui, le mouvement migratoire des personnes qualifiées s’inverse : ces pays sont capables d’offrir à leur diaspora scientifique des conditions qui favorisent le retour d’un nombre significatif de leurs ressortissants. Mais, à l’opposé, cette fuite des cerveaux grève lourdement le développement de nombreux pays, notamment en Afrique subsaharienne, en Amérique centrale et dans certains petits États insulaires.

Migrations et échanges informels

10 La migration emprunte des modalités nouvelles. Le commerce informel en témoigne. Depuis vingt ans, les échanges informels « à la valise » (ou « à l’épaule »), entre les pays méditerranéens notamment, ont amplifié les migrations circulaires 4 : des produits facilement transportables (vêtements de luxe, pièces détachées automobiles, produits cosmétiques, électroniques, culturels, etc.) s’achètent à Istanbul ou Dubaï pour se revendre à Tanger, Oran ou Tunis. Ces activités commerciales fondées sur des migrations pendulaires favorisent la prospérité d’individus entreprenants (parmi lesquels on compte nombre de femmes) sans pour autant engendrer d’impact significatif sur les dynamiques économiques nationales 5.

Les migrations internationales de la seconde mondialisation

11 Plusieurs grands facteurs distinguent la seconde mondialisation de la première, amorcée à la fin du xixe siècle et fin du interrompue avec les guerres mondiales. En premier lieu, une double transformation a modifié la mobilité des personnes : le coût de la mobilité – et des moyens de transport – s’est réduit considérablement, tandis que les barrières juridiques et policières se sont durcies aux frontières. En second lieu, les modes de communication et d’envoi de fonds se sont multipliés alors que le niveau d’instruction des migrants augmentait, permettant une meilleure diffusion de l’information, un resserrement et une diversification des liens avec les sociétés civiles des pays de transit et d’accueil qui ont favorisé la prise de conscience et la dénonciation des situations les plus injustes. Enfin et surtout, les migrations de la première mondialisation partaient des pays dominants, qui pouvaient imposer le déversement d’une partie de leur population dans des zones colonisées où les migrants s’octroyaient des droits supérieurs à ceux des populations autochtones. Aujourd’hui, la situation est totalement inversée : les migrants viennent pour une part importante de pays pauvres et se dirigent vers les pays riches où ils ne disposent ni des accès aux droits ni des facteurs de production gratuits dont ont bénéficié leurs prédécesseurs européens.

12 La seconde mondialisation, qui a repris depuis les années 1980, est centrée, comme la première, sur la liberté de circulation des flux de marchandises, de capitaux et d’informations. Mais elle s’en différencie en ce qu’elle fait une place marginale aux flux migratoires réguliers. Elle laisse une bonne partie de ces mouvements humains dans le domaine informel, sans instance de régulation internationale, alimentant des trafics d’êtres humains à grande échelle et produisant des cohortes importantes de personnes sans droits ni reconnaissance légale dans les pays de transit et de destination. Ainsi, la migration des personnes ne s’accompagne pas de la circulation internationale des droits. Elle met en contact non seulement des systèmes de droits mais aussi des niveaux d’application du droit différents, et fragilise la situation des migrants venant des pays pauvres, qu’ils arrivent dans des pays développés ou non : droits d’établissement dans le pays d’accueil, droits du travail, droits de la famille, transferts des droits à la retraite pour les migrants qui veulent finir leurs jours dans leur pays de naissance après une vie de travail dans le pays d’accueil, etc.

13 Ce déficit dans le fonctionnement des flux mondiaux de personnes trouve, pour une large part, ses fondements dans les contradictions mêmes du phénomène migratoire, qui paraissent plus vives au sein des pays d’accueil, mais aussi dans les situations des migrants eux-mêmes.

Des politiques d’accueil contradictoires au Nord

14 La politique d’accueil des migrants pratiquée dans les pays développés est totalement contradictoire. L’établissement et la circulation de droits destinés à protéger les migrants n’en sont encore qu’à leurs timides débuts, notamment parce que les pays du Nord, et tout particulièrement d’Europe, font montre d’une extrême ambivalence au regard de la migration. En voie de vieillissement, les sociétés européennes en proie au déclin démographique ont besoin d’apports de main-d’œuvre pour maintenir sur le moyen/long terme leur niveau de vie, et tout particulièrement leur modèle social. Mais la faiblesse de leur croissance, accentuée durablement par les effets de la crise financière, diminue considérablement leurs capacités d’accueil, tandis que les conséquences sociales de ce faible dynamisme économique rendent les populations vulnérables d’Europe plus réceptives aux discours accusant les migrants d’être responsables de leurs difficultés.

15 La migration est ainsi devenue en Europe, mais aussi aux États-Unis, un problème, entre vieillissement, chômage et besoin de main-d’œuvre, entre intégration, mariages mixtes, replis communautaires et rejet de l’autre. Ce problème, les États cherchent à le résoudre en élevant à leurs frontières des barrières toujours plus hautes.

16En fait, la question de la migration dans les pays développés, de la contradiction entre besoins de main-d’œuvre et capacités d’accueil, ne peut se résoudre sur le seul segment de la migration. Même si des améliorations des dispositifs concernant les migrants et leur accueil sont nécessaires, le « problème migratoire » ne trouvera de solution au Nord qu’au niveau de l’ensemble de la société. Il interroge en effet tout le corps social, son dynamisme politique, économique, culturel, sa cohésion, sa capacité d’ouverture, notamment aux talents venant du Sud, son aptitude à prendre la mesure nouvelle de l’espace mondialisé où la suprématie des pays développés se réduit à une vitesse imprévue, sa capacité à s’intégrer dans un monde où le Nord ne sera plus seul à écrire les règles du jeu.

Les pays du Sud face à l’émigration : une attitude moins contradictoire

17 L’émigration a longtemps constitué, pour les autorités des pays du Sud, une solution pour diminuer la pression démographique, surtout pendant la phase de transition démographique qui faisait « exploser » l’accroissement de la population. Les pouvoirs publics encourageaient les départs, parfois par des politiques actives – ce fut le cas du Maroc dans les années 1960, les pays d’Europe manquant à cette époque de main-d’œuvre dans les mines, la métallurgie et le bâtiment. Dans sa vision stratégique, le Maroc avait ajouté au soulagement de la pression démographique sur ses centres urbains, la croissance des ressources en devises que les migrants procureraient en établissant un réseau bancaire à l’étranger (les agences de la Banque Chaabi), calqué sur les régions d’émigration. Le Maroc a été le premier pays au monde à établir une telle stratégie financière. Depuis dix ans environ, il est confronté, en tant que pays de transit et même d’immigration, aux flux de migrants venant d’Afrique subsaharienne.

18 Les pays d’Afrique subsaharienne, en pleine expansion démographique, sont aujourd’hui dans cette phase de soutien implicite à l’émigration, et ce avec d’autant plus d’intensité que les niveaux de vie en termes monétaires diffèrent entre pays de départ et pays d’accueil. Ainsi, une fraction du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) français correspond à un montant relatif très élevé dans le pays de départ dont le produit intérieur brut (PIB) par tête est très bas. Mais contrairement à ce qui prévalait quand les pays du Maghreb connaissaient leur croissance démographique la plus vigoureuse, les pays potentiellement récipiendaires, et notamment les pays d’Europe, ne sont plus aussi demandeurs de main-d’œuvre que dans les années d’après-guerre.

19 Pour tous les pays émetteurs de migrants s’ajoutent bien entendu les effets des transferts non financiers, qui relèvent de l’apprentissage. Ceux-ci sont difficilement quantifiables au niveau de l’ensemble de la société.

20 D’une manière générale, les pays du Sud reconnaissent que les départs de migrants ont des effets globalement positifs à court/moyen terme, sur les plans démographique et financier, même si cela représente une perte humaine à plus long terme. Pourtant, même à plus longue échéance, le développement d’une diaspora peut avoir des effets positifs en termes de positionnement dans la mondialisation : les migrants représentent de nouveaux relais d’échanges possibles et peuvent jouer un rôle de médiateur en faveur du transfert de processus d’apprentissage dans le pays d’origine.

21 Le domaine de la migration internationale identifie trois ensembles : les pays de départ, les pays d’accueil et les migrants eux-mêmes. Ce sont ces derniers dont il faut maintenant évaluer la situation.

La construction individuelle de la migration

22 Au niveau individuel, les migrants vivent la circulation des personnes sur une multitude de modes qui sont, le plus souvent, très contradictoires.

23 La décision de migrer – ou celle d’un éventuel retour – relève de motivations privées, individuelles ou « micro-collectives ». Elles tiennent à de nombreux facteurs liés aux conditions qui prévalent dans le pays d’origine (économiques, écologiques, sociales, politiques), dans le pays d’accueil (présence préalable d’une communauté de migrants du même pays, dynamisme économique et niveau du chômage, environnement légal et politique, etc.) et, bien sûr, à la situation individuelle du migrant (son âge, son niveau de formation, ses motifs de départ, etc.) La décision de quitter son pays induit un arrachement toujours douloureux à sa famille, à sa société, ainsi que l’abord d’une société différente, pas toujours accueillante. Mais c’est tout autant un défi positif à relever par rapport au groupe, une épreuve qui forge l’individu capable de franchir les obstacles qui entourent les forteresses du Nord. C’est une affirmation individuelle, car c’est au niveau de l’individu que les risques sont pris et que les pays de destination, au Nord, accordent une valeur. Mais c’est aussi un engagement vis-à-vis du groupe du pays d’origine, parfois même une dette, symbolique ou réelle, qui renforce le lien rattachant le migrant à son origine et détermine les transferts financiers qu’il effectuera. Devenu redevable en raison de l’effort fourni par sa famille pour l’aider à partir – ou pour d’autres raisons encore –, le migrant souhaite « faire quelque chose » pour ceux qui sont restés au pays. Bien sûr, la solidarité se manifeste avant tout envers la famille : les transferts d’argent en sont la première expression, et l’usage qu’en font les familles est tourné majoritairement vers la consommation, l’éducation, la santé, comme dans toutes les familles du monde. Mais ces transferts à destination de la famille élargie entrent en contradiction avec les projets d’installation dans le pays d’accueil. Les enfants de migrants nés dans le pays d’accueil sont un accélérateur de l’effritement du lien avec la famille restée au pays. Ces processus se retrouvent aussi bien dans l’Atlas marocain que dans l’État du Zacatecas, au Mexique 6.

24 Ainsi, une fois qu’ils ont posé leurs valises dans le pays d’accueil, les migrants entretiennent avec leur pays d’origine des relations très diverses, chacun combinant l’ensemble de ces facteurs pour faire émerger une solution singulière. Ces liens tiennent d’abord aux perspectives de vie du migrant : se considère-t-il en transition dans le pays d’accueil, en attendant le retour au pays ? Ou se sent-il déjà en voie d’installation définitive ? Ces perspectives individuelles peuvent évidemment changer au fil du temps, quand se pose la question du mariage, de la venue ou non du conjoint, des enfants restés au pays, entre l’attachement aux terres de là-bas et la nécessité d’insertion ici, entre la transmission aux enfants des valeurs, de la langue et des coutumes du pays d’origine, et leur devenir comme enfants d’un monde globalisé. Le plus souvent, c’est l’inhumation d’un membre de la famille dans le pays d’accueil qui marque la rupture du migrant avec son rêve de retour au pays d’origine.

25 Au Sud, la situation du migrant n’est pas moins complexe. Celui-ci occulte le plus souvent les difficultés qu’il rencontre dans le pays d’accueil, continuant à perpétuer, auprès de ses proches restés au pays, l’image d’eldorado des pays développés. Il est jalousé pour sa richesse monétaire, par ailleurs souvent ostentatoire. Il est perçu comme n’appartenant plus tout à fait au pays, et ses enfants, qui ne maîtrisent pas toujours la langue des parents, ne trouvent pas facilement leur place quand ils y viennent pour les vacances ou qu’ils s’y installent définitivement 7. Les migrants peuvent aussi être accusés d’importer des fragments de modernité – dans les rapports entre hommes et femmes, dans le rapport à la religion, dans le mimétisme de la consommation –, une modernité qui peut disloquer les liens dans les sociétés traditionnelles. Les migrants ne transfèrent pas que de l’argent. Dans leur trajectoire individuelle, ils vivent toutes les facettes de ces facteurs contraires.

26 La migration est donc un phénomène d’une incomparable complexité, qui ne se laisse pas réduire à sa simple expression économique ou financière. Elle mobilise, aux côtés des facteurs de nécessité, de puissants facteurs symboliques et imaginaires dont la non-prise en compte obscurcit les enjeux réels, tant dans les pays d’accueil que d’origine ou encore à l’échelle individuelle des migrants. Cette complexité explique en partie l’impossibilité d’établir un lien clair entre la migration et le développement du pays d’origine.

La relation complexe entre migration et développement

27 Le thème des migrations s’est imposé dans les agendas internationaux au début des années 2000, quand les décideurs des pays développés et des institutions financières internationales ont découvert qu’au niveau mondial les migrants transféraient vers leur pays d’origine des montants supérieurs à ceux de l’aide publique au développement (APD) : plus de 300 milliards de dollars, dont près de 40 milliards pour le continent africain 8, contre moins de 150 milliards pour l’APD avant la crise financière. Et ces chiffres ne portent que sur les transferts identifiés, qui sont la face visible du phénomène, car d’importants flux ne transitent pas par des canaux formels.

28 Depuis cette « découverte », l’attention s’est focalisée sur ces transferts financiers massifs et nombre d’études ont été menées pour mesurer leur impact sur la croissance économique et sur la réduction de la pauvreté dans les pays qui en sont bénéficiaires. Dans une perspective réductrice comparable à celle que nous venons d’évoquer à propos de la réalité migratoire, deux idées aussi simples que fausses ont circulé sur les liens entre migrations et développement. Selon la première, le développement des pays freinera la poussée migratoire. Cet argument, que l’observation empirique contredit, sert à justifier l’APD, dans les pays du Nord, qui espèrent une diminution des flux de migrants. Selon la seconde, apparue dans les années 2000, les migrants jouent un rôle dans le développement de leur pays d’origine grâce à leurs transferts financiers, justifiant à l’inverse une possible diminution des montants de l’APD. Examinons successivement ces deux points.

Le décollage économique de l’Europe s’est effectué au prix d’une très forte émigration

29 Nous connaissons les intenses mouvements de personnes qui ont accompagné les révolutions industrielles que l’Europe a connues au xixe siècle. Des vagues massives de migrants (60 millions) ont quitté le continent, portées par la première mondialisation. Fuyant la misère, les persécutions religieuses ou politiques, les migrants partaient vers les continents colonisés où la terre, expropriée, était disponible gratuitement. C’est au prix de cette intense émigration que le décollage économique des pays d’Europe a pu s’effectuer au xixe siècle. Et malgré la spécificité du fait colonial, ce même phénomène s’est reproduit sous d’autres conditions : nulle part au monde et à aucune période de l’histoire, l’amorce du développement économique n’a provoqué de réduction de l’émigration. C’est toujours le contraire que l’on observe, y compris aujourd’hui.

30 C’est seulement une fois le développement économique consolidé que l’on constate une inversion du phénomène migratoire. Les exemples de l’Italie, de l’Irlande puis de l’Espagne et du Portugal, des pays longtemps pourvoyeurs de migrants ensuite devenus terres d’immigration, illustrent ce phénomène. La Corée du Sud emprunte cette voie aujourd’hui. C’est là le premier enseignement qu’il faut garder à l’esprit face aux discours faisant de l’engagement des pays d’origine dans le processus de développement un facteur d’arrêt des flux migratoires vers les pays développés.

La migration est-elle un facteur de développement ?

31 Au niveau macroéconomique, les études se sont multipliées depuis la « découverte » de l’importance de la dimension migratoire de la mondialisation, pour tenter d’en mesurer les effets, notamment via les transferts financiers, sur le développement du pays d’origine.

32Ces études débouchent finalement sur des résultats contradictoires. La difficulté à faire apparaître, à l’échelle nationale, les effets des transferts financiers des migrants sur l’équilibre macroéconomique et le développement du pays d’origine ou sur la pauvreté tient au fait qu’ils peuvent être simultanément positifs et négatifs 9. Ainsi, les transferts financiers peuvent avoir des effets significatifs sur la réduction de la pauvreté en augmentant la consommation, les dépenses de santé et d’éducation des familles restées au pays. Ils peuvent également constituer un filet de sécurité non négligeable en compensant les difficultés temporaires des parents : maladie, désastre climatique, etc. Mais des effets de désincitation au travail peuvent se manifester simultanément dans le même espace d’observation. Les transferts financiers obéissent à de multiples facteurs ; il est donc impossible de généraliser leurs effets sur le développement du pays d’origine. Ce sont les spécificités qui dominent et aucun lien direct entre transferts et croissance économique ou réduction de la pauvreté n’a pu être clairement établi à ce jour.

33 Quant au lien entre migrations et développement, c’est au niveau local et microsocial – à l’échelle des régions d’émigration – que des éléments de réponse peuvent être apportés. Il est impossible, dans les limites de ce chapitre, de dresser un inventaire exhaustif des actions que mènent les migrants pour soutenir leur famille, leur village, leur pays d’origine et de leurs impacts sur les équilibres locaux. Nous en évoquerons quelques-unes pour donner un aperçu, à nouveau, de leur extrême diversité, et surtout pour souligner en quoi elles relèvent de pratiques sociales antérieures et largement indépendantes des politiques de soutien au développement des pays du Sud établies par les autorités, au travers de dispositifs dits « de soutien au co-développement10 ».

34 Toutes ces actions ont pour moteur la solidarité du migrant vis-à-vis de sa communauté d’origine, au niveau familial ou à un niveau plus large. Dans les communautés fortement structurées – en général, celles qui vivent en zone rurale –, les traditions d’entraide, encore très présentes, cimentent le groupe et sont la condition même de la survie de ses membres 11. Cette solidarité prend simplement une dimension internationale quand des membres de la communauté migrent.

35 Nous avons vu que les transferts financiers avaient jusque-là fait l’objet de nombreuses études à l’échelle macroéconomique. Il nous faut ici porter notre attention sur les transferts non financiers, à l’échelle locale. Il s’agit de transferts invisibles qui peuvent promouvoir des processus d’apprentissage porteurs de développement aux niveaux familial, collectif et citoyen 12. Ces transferts portent sur tous les champs de la vie sociale que la migration met en concurrence lors du retour au pays, temporaire ou définitif :

  • la famille : les comportements marqués par une baisse de la natalité se transmettent au sein des populations de la région d’origine, par la fréquentation des familles de migrants qui ont adopté, au bout de deux générations, les comportements de fécondité du pays d’accueil. C’est le plus souvent la femme migrante qui joue un rôle essentiel sur ce terrain, en apportant des réponses aux questions concernant la natalité que se posent les parentes restées au village ;
  • les comportements et l’organisation sociale : valorisation de la scolarisation des enfants, notamment des filles, dans des régions rurales pauvres où elle ne va pas de soi 13 ; diffusion des approches occidentales de la médecine ; nouvelles exigences face aux autorités locales, notamment en matière de respect des droits élémentaires (pour l’accès aux documents civils et administratifs, par exemple) ; candidature aux élections locales, souvent déposée par un migrant de retour au pays après son départ à la retraite. Les migrants jouent également un rôle important dans la formalisation et la dépersonnalisation des institutions : sont concernés les droits de propriété (dans le pays d’origine, ces droits sont souvent fondés sur des bases personnelles, établies par témoignage, et n’offrent plus de réelle sécurité au titulaire émigré, et encore moins à ses enfants), les noms de famille et dates de naissance, donc l’état civil, etc.

36 Le plus souvent d’une façon implicite, les migrants jouent un rôle de « passeur de modernité », dans tous ses aspects contradictoires : découverte de la télévision qui ouvre sur le monde mais aussi qui isole les individus et tend à dissoudre les liens traditionnels ; consommation de produits industriels coûteux à la place de produits locaux ; étalage de la richesse acquise au Nord ; etc.

37Souvent, à la solidarité familiale s’ajoutent des actions plus larges. On soutient le village dans ses projets collectifs : réfection de la mosquée ou de l’église, du système d’irrigation, construction d’une école, paiement de l’instituteur, soutien à une famille en difficulté, solidarité avec le village éprouvé par un désastre naturel. Ainsi, depuis plusieurs siècles, les Libanais de la diaspora envoient, du monde entier, des fonds aux villages reculés des montagnes pour financer le salaire de l’imam ou du curé qui enseigne aux enfants restés au pays.

38 Cette solidarité à des fins collectives répond souvent à un problème ponctuel (par exemple l’achat d’une ambulance pour le village), hors de toute formalisation ou pérennisation dans un cadre structuré tel qu’une association. Dans d’autres cas, cette solidarité collective est organisée depuis le pays d’accueil sur un mode lui-même collectif et pérenne : en France, le développement depuis les années 1990 des Organisations de solidarité internationale issues des migrations (OSIM) témoigne de la formalisation d’une partie de cette solidarité collective. Vietnamiens, Laotiens, Maliens, Guinéens, Sénégalais, Malgaches, Congolais, Haïtiens, Marocains ont ainsi créé des organisations actives et pérennes de solidarité avec le pays d’origine, dans une grande diversité de formes 14.

39 Au final, la relation de cause à effet entre migration et développement n’est pas décelable à l’échelle macroéconomique, tandis qu’elle existe au niveau local – mais d’une façon diffuse et difficilement mesurable. Pour autant et à ce niveau, elle est porteuse d’une démarche de développement très différente de celle traditionnellement mise en œuvre par les bailleurs publics et les ONG du Nord.

Quel développement par la mobilisation des migrants ? l’exemple de « migrations & développement »

40 Nous nous concentrerons sur la relation entre migration et développement du pays d’origine à l’échelle d’une région, en partant de l’expérience, au Maroc, de l’ONG « Migrations & Développement » (M & D). Une telle démarche empirique révèle les stratégies spécifiques des migrants, et permet d’identifier les transferts invisibles (de savoirs, culturels, comportementaux) qui se manifestent aux côtés des transferts financiers.

L’invention « par le bas » du lien entre migration et développement

41 M&D a été créée en 1986 par des migrants marocains réunis autour de l’un d’eux, Jamal Lhoussine15, formé par le syndicalisme français dans les années 1970 et 1980. Originaires des régions de l’Atlas et de l’Anti-Atlas, ces jeunes hommes – célibataires, ne parlant pas le français à leur arrivée, avec un niveau d’instruction très bas – étaient concentrés dans une vallée des Alpes, à L’Argentière-la-Bessée, où le groupe Pechiney transformait la bauxite en aluminium (le groupe a poursuivi cette activité jusqu’au début des années 1980). Se consacrant à des travaux très durs, ils bénéficiaient d’un statut inférieur à celui des ouvriers français qui effectuaient des tâches équivalentes. Frappés par un licenciement collectif à la fermeture de l’usine, certains d’entre eux ont envisagé de retourner au Maroc. Sous l’impulsion de Jamal Lhoussine, ils se sont organisés autour d’un projet : investir leurs primes de licenciement dans des actions collectives pour leur village d’origine 16. À notre connaissance, c’est cette ONG qui, la première, à la fin des années 1980, a conceptualisé et mis en pratique la relation entre migration et développement.

42 Leur région d’origine est alors depuis longtemps une zone pauvre, marquée par une très forte émigration, jusque-là délaissée par les autorités : peu de routes, d’écoles, de réseaux d’adduction d’eau, de structures de santé publique. Dans les années 1960, les autorités marocaines avaient signé des accords migratoires avec certains pays européens pour répondre à leur demande de main-d’œuvre. D’importants recrutements de travailleurs, dont beaucoup étaient originaires de ces régions montagneuses du Maroc, ont été opérés dans les secteurs industriels et miniers français et belges17. À ces facteurs d’attraction (pull), se sont ajoutés des facteurs de départ (push) : une grave sécheresse récurrente affecte la région depuis le milieu des années 1970, provoquant un fort exode rural vers les villes du Maroc (85 %) et vers l’Europe.

43 Lorsque, au milieu des années 1980, M&D a commencé son activité, il s’agissait d’organiser, sur un mode informel, des collectes de fonds auprès d’immigrés établis en France et d’investir ces fonds dans des infrastructures villageoises (électrification et petite hydraulique) puis dans la santé, l’éducation, et la formation des adultes de la région d’origine. Association de droit français (loi 1901) bénéficiant d’un accord de siège avec le Maroc18, M & D s’est ouverte à tous ceux qui voulaient soutenir son action. Des ingénieurs bénévoles français ont ainsi mis à disposition leurs compétences et aidé à consolider les liens entre l’ONG et la société civile française ainsi qu’avec les institutions publiques en apportant leur crédibilité de cadres salariés quand il s’est agi d’aborder les autorités. L’association s’est progressivement professionnalisée et a recruté des salariés en France et au Maroc, en procédant par tâtonnements : en plus du siège social à L’Argentière puis à Marseille, l’ouverture d’antennes à Marrakech, Rabat, Taroudannt, Taliouine, Ighrem, Paris et Perpignan a nécessité des recrutements, puis la structure s’est fixée à Marseille avec une base opérationnelle à Taliouine (province de Taroudannt). Aux fonds collectés auprès des migrants, se sont progressivement ajoutés ceux de bailleurs du Nord (ministères français des Affaires étrangères et de l’Immigration, Agence française de développement [AFD], fonds européens, fondations privées, collectivités locales, ainsi que des fonds multilatéraux – Food and Agriculture Organization 19 [FAO], Unicef) et du Maroc (ministères du Développement social, de l’Agriculture, et de l’Intérieur, Agence de développement social [ADS], régions, provinces, communes rurales). Du côté des migrants, M & D a élargi son audience, en recrutant d’une part des migrants solidement installés dans la société française (commerçants, entrepreneurs) et originaires de l’Atlas et de l’Anti-Atlas, mais aussi d’autres régions du Maroc.

44 Pendant ses quinze premières années d’existence, M&D a investi des fonds dans des infrastructures villageoises choisies par les villageois et les migrants. Les premières demandes des villageois ont porté sur l’amélioration des conditions de vie. Mais très vite, c’est également le niveau de vie qu’il s’est agi d’augmenter. Au tournant des années 2000, M&D a lancé une large enquête participative impliquant tous les acteurs locaux de la région du Souss Massa Draâ (associations villageoises, communes rurales, administrations locales, opérateurs nationaux d’électricité et d’eau potable, universitaires), pour évaluer les actions menées jusqu’alors et envisager leur élargissement au soutien d’activités économiques : soutien aux productions agricoles locales à haute valeur ajoutée comme le safran, l’huile d’argan, et au tourisme rural, notamment par le biais d’un programme d’investissement dans des auberges rurales. M & D est ainsi une ONG de développement totalement liée à un territoire – celui des migrants qui l’animent –, où elle a vocation à intervenir sur l’ensemble des dimensions du développement rural.

L’élaboration d’une méthode d’intervention

45 Parallèlement et progressivement, toujours à partir d’une démarche très empirique, M&D a élaboré ses principes d’action pour fonder et structurer sa méthode d’intervention sur le territoire d’origine des migrants :

  • une démarche participative : ce sont les villageois et les migrants qui définissent les priorités et qui financent une partie des réalisations (souvent en journées de travail). Ils se constituent en « association villageoise ». L’association sert de coordinatrice auprès des autres partenaires (communes rurales, administrations locales, bailleurs nationaux et internationaux), de médiatrice sociale au sein du village et entre les villages, transfère les compétences nécessaires et assure la formation des villageois 20. Ces derniers élaborent leurs institutions de gestion des équipements collectifs ainsi créés (ils ont une longue expérience de terrain dans le domaine de la gestion de l’eau d’irrigation). Ils peuvent même surfacturer l’électricité, l’eau, afin de constituer une épargne (caisse villageoise de développement de solidarité), embryon d’une fiscalité locale, dédiée à de nouveaux projets villageois ;
  • un principe de solidarité : tous les services collectifs sont payants (électricité, eau, irrigation), mais l’accès aux services communs est garanti à tous les villageois, y compris aux personnes non solvables, par des systèmes d’entraide formels qui mobilisent les institutions traditionnelles de solidarité ;
  • un partenariat avec les autorités locales : l’objectif de M&D n’est pas de se substituer aux actions de l’État sur le territoire. L’ONG n’en a ni l’intention ni les moyens. Dans le cadre des politiques publiques (comme l’Initiative nationale pour le développement humain mise en œuvre par le gouvernement marocain en 2005), son rôle est de soutenir les actions villageoises et de les articuler avec celles des autorités locales (communes rurales, délégations ministérielles). À terme, l’objectif de M & D est de se retirer afin de laisser toute la place à l’État, comme ce fut le cas pour l’électrification villageoise désormais assurée par l’opérateur national (Office national de l’électricité [ONE]).

46 L’application de ces principes d’action – et notamment celui de la participation – produit des résultats très positifs : les infrastructures construites avec le soutien de M & D demeurent en bon état de fonctionnement depuis leur création et, surtout, les institutions créées (associations villageoises, institutions de gestion des équipements, conventions interpartenariales) survivent après le départ de l’ONG. Ces éléments constituent un indice de leur appropriation, au sens propre comme au figuré.

Encadré 1 : Le rôle des migrants dans le processus d’apprentissage. La participation des femmes aux structures de décision villageoises.

Dans les régions rurales du Maroc jusqu’alors sous-administrées, les villageois se sont dotés, depuis très longtemps, de structures de décision, les Jema’â, qui regroupent sur un mode traditionnel les notables (hommes, anciens, riches). Depuis le début, M & D a subordonné son appui à tout projet villageois à la création d’une « association villageoise » (AV) distincte de la Jema’â traditionnelle. L’AV a en effet voulu être ouverte, d’emblée, à d’autres acteurs du village, souvent non sans difficulté : les jeunes (dont certains sont instruits) et les migrants.
Mais les AV demeurent encore largement fermées aux femmes. Pour les faire accéder à cette instance de décision collective, il faut donc avoir recours à une voie détournée : celle-ci passe par leur organisation en association féminine autonome villageoise et/ou en coopérative. C’est alors en tant que déléguées de la structure féminine que les femmes accèdent aux structures de décision villageoises.
M & D n’a pas, délibérément, d’approche centrée sur le genre. L’ONG n’aborde jamais, en tant que telle, la question des femmes, tant la réticence à aborder cette dimension de front est forte, de la part des hommes mais aussi des femmes, notamment des femmes âgées 21 – en cas d’approche trop directe, les effets produits risquent d’être contraires à l’objectif visé. Les migrants investis dans l’action de l’ONG ont la connaissance de la culture locale et des moyens de faire progresser la participation civique et économique des femmes, comme celle des autres acteurs du développement à l’échelle du village.
Les relations entre Jema’â et AV sont très diverses. Dans le cas le plus favorable, l’AV est créée à côté de la Jema’â qui continue de fonctionner en bonne intelligence avec elle, comme Conseil des anciens à vocation consultative pour aider à trancher les conflits ou résoudre des problèmes difficiles. Dans d’autres cas, la Jema’â et l’AV entrent en conflit ; la résolution de ces différends revêt des formes variées selon les villages.

47 Plus encore, on assiste sur le terrain, depuis quelques années, au retour de jeunes instruits qui étaient partis étudier dans les villes du Maroc : ils reviennent dans leur village pour travailler au développement de celui-ci, deviennent présidents des associations villageoises et constituent des acteurs de développement au niveau local, en passe de prendre la relève des cadres villageois traditionnels.

L’élargissement de l’action vers le soutien aux activités économiques

48 Au début des années 2000, la nouvelle orientation de M & D en faveur des activités économiques a considérablement élargi et enraciné l’action des migrants sur ce territoire. Ainsi, le lancement en 2007 de la première édition du Festival du safran a largement contribué à revaloriser le produit (en termes de prix et de notoriété) au profit des producteurs directs. M & D a été au cœur du processus d’apprentissage qui a permis aux agriculteurs de la région, pour l’écoulement de leur produit, de passer du souk local au marché international (voir encadré infra). En développant des contacts avec des ONG de commerce équitable au Nord, qui ont de leur côté apporté leur savoir-faire en matière de commerce international, de traçabilité, de certification biologique et de démarche qualité, M & D a permis l’émergence d’une relation de confiance entre villageois producteurs au Sud et intervenants du commerce équitable au Nord. Des études menées par des scientifiques, commanditées par M&D, ont soutenu le processus. Depuis sa première édition, le Festival du safran a lieu à chaque récolte de la précieuse épice, au début du mois de novembre. L’association organise des rencontres entre producteurs, migrants, chercheurs, acteurs de l’économie sociale et solidaire, autorités locales. M&D a ainsi sensibilisé le ministère de l’Agriculture marocain à la création d’un label géographique qui permettra de sécuriser l’identité et donc la qualité et la valeur du produit.

Encadré 2 : Le Safran de Taliouine.

À la charnière entre l’Atlas et l’Anti-Atlas marocain (au pied du mont Sirwa, à 120 km à l’est de Taroudannt), la région de Taliouine est la seule de tout le continent africain à produire du safran (zaafaran en arabe et en berbère), et ce depuis plusieurs siècles.
Avec une production de 1 tonne à 1,5 tonne par an, le Maroc est un producteur marginal au niveau mondial (120 tonnes). Mais le safran de Taliouine possède des vertus chimiques et gustatives parmi les meilleures du monde. Pour cette raison, il est souvent l’objet d’usurpation d’identité sur le marché international où plus de 4 tonnes de « safran marocain » circuleraient.
La petite ville de Taliouine se trouve au cœur de la zone dont sont originaires les migrants qui ont créé M&D. Le prix d’achat du safran versé aux agriculteurs de la région a triplé depuis le lancement du premier Festival du safran, au cours duquel les contrats d’exportation ont été signés avec une ONG de commerce équitable italienne 22, sous le parrainage de M&D.
La production du safran s’effectue dans le cadre d’une agriculture familiale. Du fait de la spécificité de l’activité, la cueillette et le traitement des pistils des fleurs résistent à toute mécanisation – ce qui devrait permettre à cette culture de conserver son caractère familial. Les recettes procurées par la vente du safran constituent souvent la seule ressource monétaire pour nombre de villageois. Elles leur permettent d’épargner et leur garantissent une sécurité en cas de difficultés. Grâce au triplement du prix, les recettes ont augmenté et ont notamment entraîné une extension des surfaces cultivées, des investissements collectifs en matériel – opérés par la coopérative –, un retour au sein des villages des jeunes de la migration interne et internationale, ainsi que des investissements dans l’irrigation, devenue rentable étant donné le niveau actuel des prix.
Ces résultats restent cependant dépendants de la consolidation de l’organisation paysanne au niveau local, principalement pour maintenir la qualité et la traçabilité de ce produit à très haute valeur ajoutée (le safran est l’épice la plus chère sur le marché mondial). M & D poursuit aujourd’hui cet objectif de consolidation.

49 En 2009, le succès du Festival du safran a fait des émules : les producteurs d’amandes et d’argan ont préparé, pour 2010, des festivals équivalents dans deux localités de la région.

50 M&D a également soutenu un programme d’investissement dans les auberges rurales des villages d’origine des migrants23. Un réseau de 20 auberges a ainsi été créé dans la région de l’Atlas et de l’Anti-Atlas, propice au tourisme de randonnée et ouvert à une clientèle étrangère – amorce du lancement de trois « Pays touristiques 24 » proposant une offre structurée de tourisme rural respectueux de l’environnement humain, culturel et naturel de la région.

Rendre les passerelles entre Sud et Nord vivantes et les élargir

51 Au Nord, M&D soutient à l’échelle du territoire français la formation et l’action d’associations de migrants agissant pour le développement de la région de l’Atlas et de l’Anti-Atlas : organisations de migrants de la première génération, mais aussi organisations de jeunes issus des migrations. Celles-ci cherchent, par tâtonnements, à élaborer leur propre mode d’intervention pour manifester, à leur façon, leur solidarité, leur attachement au pays d’origine de leurs parents. Le plus souvent, il ne s’agit pas d’un attachement au village, mais au pays des parents. Les thèmes culturels sont très présents dans les démarches de ces jeunes issus de la migration et aux identités multiples25. L’objectif de M&D n’est pas de constituer un réseau formalisé d’associations marocaines intervenant dans la région (ou sur tout le territoire marocain). Elle conserve des relations informelles avec ces autres associations, spécifiques aux collaborations qui ont pu être mises en œuvre. Ce travail a pris de l’ampleur en 2010, avec le soutien du ministère chargé de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, dans le cadre d’un programme expérimental qui vise à former des cadres associatifs marocains vivant en France afin de dynamiser les initiatives de la « diaspora26 » et d’améliorer son intégration dans le pays d’accueil tout en renforçant les liens avec le pays d’origine. Les autorités marocaines ont en effet le souci de consolider leurs liens avec leur communauté transnationale au moment où, pour la première fois depuis que les statistiques des transferts sont tenues au Maroc, on assiste à un fléchissement du flux en 2008 et 2009, sous l’effet de la crise financière. Le ministère marocain a d’ailleurs baptisé ce programme « Enracinement sans déracinement27 ».

52 En plus de ces soutiens aux migrants, M & D organise des échanges entre les deux rives de la Méditerranée et au-delà : échanges entre élus locaux (entre les régions montagneuses de Taliouine et Tiznit au Sud et des Alpes de Haute-Provence au Nord), entre chercheurs (Institut national de la recherche agronomique d’Agadir et Institut agronomique méditerranéen de Montpellier), entre ONG de solidarité internationale de France, du Mali, du Mexique et du Maroc, et des ONG de commerce équitable (CTM-Altro Mercato, Slow Food) ; échanges encore, au cours de voyages de « tourisme solidaire », avec des comités d’entreprise, ou entre jeunes au travers de « chantiers échanges ».

53 Enfin, M&D joue un rôle important de conseil, le plus souvent sur un mode informel, notamment en matière de développement rural, auprès des autorités marocaines telles que le ministère du Développement social et l’ADS.

Encadré 3 : Entre Sud et Nord, 25 ans d’action de M&D en chiffres.

La zone d’intervention compte 350 000 habitants et un territoire de 500 km de large sur 300 km du nord au sud, allant de Tinghir (vers Ouarzazate) à Tiznit (sud d’Agadir) et de Guelmim à d’El Haouz.
Depuis le début, des actions ont été menées avec 420 villages (200 habitants par village en moyenne) :
– au niveau des infrastructures : 118 villages électrifiés (le programme est arrêté depuis 2006, année de l’arrivée dans la région de l’ONE) ; 92 ouvrages hydrauliques (systèmes d’adduction d’eau potable et d’assainissement, systèmes d’irrigation, retenues collinaires) ; 13 écoles non formelles construites et en fonctionnement, rénovation et équipement d’écoles et d’un internat ; 2 dispensaires construits ; actions sur l’environnement (plantations d’arbres, récupération des déchets solides) ;
– dans le domaine économique : 7 coopératives agricoles (huiles d’argan, huile d’olive, safran, plantes aromatiques et médicinales) ; 2 coopératives artisanales (tapis) ; un réseau de 20 auberges rurales construites grâce à des financements de migrants abondés à hauteur de 30 % par l’AFD et l’UE, avec l’appui de l’ADS ;
– en faveur du renforcement des capacités des acteurs au Sud comme au Nord : au Maroc, via notamment l’organisation de sessions de formation d’élus, de coopérateurs, de femmes leaders, de cadres des administrations locales. Depuis 2010, l’ONG organise un soutien aux communes rurales pour l’élaboration et le suivi des Plans de développement communaux (PDC) dans les provinces de Tiznit et de Taroudannt. En France, M & D soutient la création d’associations de migrants marocains souhaitant intervenir dans leur pays d’origine (aide juridique à la constitution des ONG, au montage des projets et à la recherche de financements complémentaires) ;
– en faveur des échanges entre les deux rives de la Méditerranée, et l’éducation à la solidarité internationale entre élus, chercheurs, cadres d’ONG, jeunes.
L’association compte 5 salariés à Marseille (siège de M & D), 8 salariés au Maroc et 8 instituteurs d’écoles non formelles également salariés. Sur 21 salariés au total, 19 sont des Marocains (3 de France et 16 du Maroc). Une dizaine de bénévoles, jeunes retraités pour la plupart, sont actifs au Nord (Marseille, Lyon, Paris, Perpignan, Saint-Étienne principalement). Ils apportent soutien et expertise à l’équipe des salariés.

54 Au total, au travers de ces actions de soutien à la création d’infrastructures, élargies ensuite aux activités économiques, le noyau des migrants de M & D a su regrouper autour de lui une expertise et des financements qui ont structuré les transferts d’argent dans la région, jusqu’à constituer un programme de développement rural intégré, en complément de ceux des autorités locales.

55 Son action sur le long terme a permis aux habitants et aux autorités locales de prendre conscience des ressources de la région, ce qui a favorisé leur valorisation tant sur le marché national qu’international. En augmentant l’attractivité du territoire d’origine, cette action au long cours des migrants vise à donner aux jeunes du pays d’autres perspectives que la migration vers les grandes villes du Maroc et d’Europe. En outre, en tant qu’organisation transnationale, l’ONG vise aussi à renforcer les liens entre les populations des deux rives de la Méditerranée.

56 M&D a également pour ambition d’intervenir au Nord dans les débats sur l’aide au développement, en montrant comment l’apport spécifique des migrants, en tant que « passeurs de modernité » et vecteurs d’apprentissage entre Nord et Sud, permet d’obtenir des résultats durables en termes de développement. L’appropriation des processus de développement est effective, dès l’origine de la démarche, avec l’implication concrète des populations locales et migrantes, dans les choix des projets de développement puis dans leur financement et leur conduite.

57 Les politiques publiques au Nord peuvent soutenir ce type d’action28 en établissant des relations de confiance sur le long terme entre les institutions et les migrants qui s’investissent dans les associations de soutien au développement des pays d’origine. M & D a su mettre en place des modes de fonctionnement et des relais dans la société française qui lui ont permis de bénéficier de ce type de relation. Mais sa situation reste fragile, car le développement s’inscrit dans un processus long, qui n’est pas toujours compatible avec le rapport au temps de la sphère politique.

Un besoin de politiques publiques plus cohérentes

58 Devant la diversité des situations et des facteurs à l’œuvre dans le phénomène migratoire, qui obéit à de nombreux mobiles contradictoires, les politiques publiques tant au Nord qu’au Sud sont très difficiles à définir et, plus encore, à mener à bien. Prendre en compte cette complexité devrait permettre d’éviter les formules simples et sans grands effets au moment d’appréhender la question migratoire.

59 Le cadre d’analyse devrait tenir compte du fait que le développement des pays du Sud, s’il advient, ne tarira pas les flux migratoires avant longtemps. Toutes les observations historiques le montrent. À l’inverse, les migrants ne peuvent porter à eux seuls le poids du développement de leur pays. Ils ne sont a priori ni plus entreprenants ni plus épargnants que la moyenne des ménages dans le monde.

60 Autre élément de base à garder en tête : dans les sociétés du Nord, les questions migratoires ne peuvent trouver de solution dans l’espace strict de la migration. Une société dynamique qui a confiance en elle possède les capacités politiques, sociales, économiques et financières d’intégrer les migrants présents sur son sol et, selon des modalités discutées sereinement, d’en accueillir de nouveaux et de se donner les moyens de leur intégration (langue, sensibilisation aux spécificités de la société d’accueil, etc.). Autrement dit, c’est l’ensemble des politiques publiques adressées à la société tout entière (population d’origine et population migrante) qui doit être convoqué quand il s’agit de migration : école, santé, emploi, soutien à l’activité économique sur le territoire national, mais aussi politique commerciale et politique de coopération avec les pays du Sud.

61 Ainsi, les politiques publiques qui ont un impact direct sur la migration doivent être mises en cohérence. Les phénomènes migratoires sont en effet liés aux questions commerciales qui affectent les pays d’origine des migrants29. Par exemple, le soutien de l’UE aux producteurs de coton européens (sous forme de subventions) a un impact négatif sur les populations des régions d’Afrique sahélienne productrices de coton, d’où de nombreux départs de migrants vers l’Europe, souvent via le Sahara.

62 L’articulation entre politiques de développement et politiques migratoires pourrait se faire à partir d’une double interrogation : il faudrait réfléchir non seulement à la façon dont les politiques de développement peuvent intégrer des objectifs de stabilisation des populations dans les pays du Sud, mais aussi à la manière dont les migrants peuvent jouer un rôle dans le développement de leur pays d’origine. Il pourrait en résulter un ciblage géographique des actions de développement, plus spécialement dirigées vers les régions de forte migration au sein des pays du Sud.

63 Une réflexion visant à articuler les politiques sur le marché du travail et les politiques migratoires est en cours dans les pays d’Europe, pour flexibiliser les dispositifs et permettre les migrations temporaires (dites aussi « circulaires »). Sur ce sujet, il importe de rappeler que les politiques incitant les migrants au retour ont échoué partout où elles ont été tentées : aux Pays-Bas, en Allemagne, en France30.

64 De même, dans les pays du Sud, qu’il s’agisse de pays d’émigration et/ou de transit comme le sont désormais les pays de la rive sud de la Méditerranée, la question de la mobilité internationale de la main-d’œuvre commence à être prise en considération dans les politiques de l’emploi et de la formation, ainsi que dans les négociations des politiques d’aide avec les pays du Nord et les bailleurs internationaux31.

65 Au niveau multilatéral, la question des droits des migrants ne progresse pas. Elle constitue pourtant un élément clé de la sécurisation des parcours des migrants eux-mêmes, afin qu’ils ne soient pas utilisés contre les nationaux pour peser sur le niveau des salaires et les conditions sociales. Elle est aussi importante pour légitimer la régulation des flux migratoires en ajoutant à la composante sécuritaire un objectif de défense des droits humains et sociaux.

66 Enfin, on peut se poser la question des politiques publiques visant à soutenir l’action des migrants dans le développement de leur pays d’origine, désormais connues sous le nom de politiques de soutien au « co-développement ». Les actions de développement menées collectivement par les migrants dans leur région d’origine s’appliquent à des zones de forte émigration, rurales, souvent pas ou très peu couvertes par les équipements publics. Elles peuvent être hautement efficaces en raison de la connaissance que les migrants ont du pays d’accueil comme du pays d’origine. Cette efficacité tient au fait que les migrants sont légitimes dans leur région d’origine pour transférer, outre des fonds, des comportements nouveaux, des savoir-faire, et être les catalyseurs de changements institutionnels et de comportements citoyens.

67 L’exemple de M&D montre clairement que les actions de développement commencent toujours par l’implication financière des bénéficiaires, migrants et villageois, ce qui en assure l’appropriation et, finalement, l’efficacité. Par conséquent, le soutien des bailleurs à ces actions devrait obéir à une logique inverse : il ne devrait pas prendre la forme d’appels d’offres conçus au Nord selon la logique des bailleurs, mais répondre à des demandes élaborées par les populations bénéficiaires, grâce à la médiation, dans les pays du Nord, de migrants investis dans des actions de soutien au développement de leur pays d’origine.

68 Enfin, l’implication des migrants dans l’élaboration des programmes d’aide des bailleurs nationaux et multilatéraux pourrait constituer un plus pour l’aide publique au développement et ainsi en augmenter la légitimité et donc l’efficacité.

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Bibliographie

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Voir sur ce site un article de septembre 2023 : « Migration, un champ de contradiction » ==> ICI

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Notes de bas de page

2 Agence française de développement (AFD), Cadre d’intervention transversal (CIT), Migrations internes et internationales 2010-2013, Paris, AFD, 2010.

3 OCDE-Centre de développement, La cohérence des politiques au service du développement : migrations et pays en développement, Paris, OCDE, 2008.

4 Le phénomène n’est pas circonscrit à la Méditerranée. Ainsi, le commerce informel pratiqué par les Russes en Turquie s’est développé à grande échelle depuis les années 1990.

5 M. Péraldi (dir.), La fin des norias ? Réseaux migrants dans les économies marchandes en Méditerranée, Paris, Maisonneuve & Larose, 2002 ; M. Péraldi, « L’esprit du bazar, de Belsunce à Istanbul », in Parlez-moi d’Alger. Marseille-Alger au miroir des mémoires, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2003 ; M. Péraldi et M. Cheikh (dir.), Des femmes sur les routes. Voyages au féminin entre Afrique et Méditerranée : expériences et compétences, Casablanca, Le Fennec & Karthala, 2009.

6 N. Iskander, Innovating Government : Migration, Development, and the State in Morocco and Mexico, 1963-2005, Thèse de doctorat, Massachusetts Institute of Technology, Sloan School of Management, 2005 ; du même auteur, Creative State : Forty Years of Migration and Development Policy in Morocco and Mexico, Cornell University Press, 2010 ; T. Lacroix, Les réseaux marocains du développement : géographie du transnational et politiques du territoire, Paris, Les Presses de Sciences-Po, 2005.

7 Voir à ce sujet dans cet ouvrage la contribution de Christophe Bertossi et Marie Bassi.

8 S. Nagarajan, « Impact de la crise financière internationale sur les envois de fonds vers l’Afrique », Recherches sur le développement en bref, no 4, Banque africaine de développement, Département de la recherche, Bureau de l’économiste en chef ECON, mai 2009.

9 Des effets macroéconomiques très significatifs peuvent cependant être perçus dans les petits pays qui connaissent des taux élevés d’émigration, où le montant des transferts peut atteindre des niveaux supérieurs à 15 % du PIB. Les effets perceptibles sur le niveau des réserves en devises, sur le taux de change (surévaluation) mais aussi sur la consommation et les importations peuvent apparaître. Ce n’est globalement pas le cas des pays du sud de la Méditerranée.

10 H. de Haas, Engaging Diasporas – How governments and development agencies can support diaspora involvement in the development of origin countries, Oxford, International Migration Institute, University of Oxford, juin 2006.

11 Un proverbe malien ne dit-il pas que « les seules personnes pauvres et vulnérables sont celles qui sont seules », sans la protection de leur communauté ?

12 N. Iskander, Innovating Government : Migration, Development, and the State in Morocco and Mexico, op. cit. [6] ; T. Lacroix, op. cit. [6].

13 L’attitude par rapport au travail des enfants est un marqueur de développement : l’enfant, d’abord considéré comme une ressource immédiate pour les travaux domestiques ou ruraux, et future pour le soutien de la vieillesse de ses parents, représente un coût (frais de scolarisation) et un manque à gagner (absence d’activité productrice, fût-elle de très faible productivité).

14 Une partie de ces OSIM s’est regroupée en France au sein de la plateforme du Forum des organisations de solidarité internationale issues de la migration (FORIM). Voir son site Forim.net.

15 Voir Migdev. org. Jamal Lhoussine est actuellement directeur du développement salarié de cette ONG, dont le siège social est à Marseille.

16 Z. Daoud, Marocains des deux rives, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997 ; du même auteur, Marocains de l’autre rive – Les immigrés marocains acteurs du développement durable, Casablanca, Éditions Paris-Méditerranée/Tarik Éditions, 2004.

17 N. Iskander, Innovating Government : Migration, Development, and the State in Morocco and Mexico, op. cit. [6].

18 Signé entre le ministère des Affaires étrangères marocain et M & D, cet accord lui offre la possibilité d’agir sur le territoire marocain, tout en maintenant son statut juridique d’association française.

19 Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

20 Ces transferts de compétences peuvent porter sur la technique (opérations d’électrification par exemple), mais aussi et surtout sur les modes de gestion des équipements créés, le plus souvent en formalisant des modes traditionnels (par exemple en demandant à l’association villageoise d’ouvrir un compte bancaire). Les formations des villageois peuvent porter sur l’économie de l’eau dans les usages domestiques, sur l’hygiène et la santé, sur les raisons d’être des coopératives agricoles et leur fonctionnement, sur les normes de qualité des produits exportés, etc. Le plus souvent, elles sont assurées par des animateurs salariés de M & D. La connaissance de la langue berbère est requise dans la plupart des cas, car dans les villages c’est la seule langue parlée par les femmes et les enfants non scolarisés. Pour des formations techniques, M & D a fait appel à des retraités d’EDF pour l’électrification, et prolonge l’apprentissage des jeunes villageois dans un centre de formation professionnelle d’EDF en France. Pour les réseaux d’adduction d’eau potable et d’assainissement, M & D mobilise en interne deux membres de son Conseil d’administration, anciens ingénieurs en hydraulique, mais peut faire appel à des experts extérieurs, bénévoles ou rémunérés, pour des cas précis comme, par exemple, la création de retenues collinaires avec seuils biologiques, ou pour soutenir techniquement son rôle d’intermédiaire entre villageois producteurs de safran et laboratoires pharmaceutiques en Europe. L’introduction de solutions venant d’experts extérieurs s’effectue toujours sous la conduite des villageois, par l’intermédiaire de M & D.

21 Elles tiennent souvent le langage suivant : « Tu ne trouveras jamais un mari, ma fille, si tu continues à te rebeller contre l’ordre naturel des relations entre hommes et femmes. »

22 Il s’agit de l’ONG « Altro Mercato », voir son site Altromercato. it/it/prodotti.

23 Ce programme a été soutenu par des financements de l’Union européenne (UE), de l’AFD et de l’ADS au Maroc.

24 « Pays de la rose » (autour de Ouarzazate), « Pays de l’argan » (autour de Tiznit) et « Pays du safran » (autour de Taliouine).

25 Les sigles se terminant par IM (pour « issues des migrations ») ont fini par exaspérer les jeunes nés en France de parents immigrés. Ils ont gardé les lettres IM, mais leur ont donné un autre sens : « aux identités multiples ». On peut citer à titre d’exemple le Collectif des organisations de solidarité internationale issues des migrations (ou aux identités multiples) – COSIM –, fédération de jeunes issue du FORIM. Cependant, la stabilité, la constance, la fidélité de ces jeunes dans leurs actions en direction de leur pays d’origine n’est pas assurée.

26 Pour reprendre le terme utilisé depuis peu par le ministère chargé de la Communauté marocaine résidant à l’étranger.

27 Disponible sur Migdev.org.

28 H. de Haas, op. cit. [10].

29 Les politiques d’ajustement structurel des années 1980 et 1990 ont été menées par les institutions financières internationales sans prise en compte de leurs effets sur les flux migratoires des pays cibles. De même, les politiques d’ouverture commerciale ont provoqué des vagues de migrations, internes d’abord, internationales ensuite. Elles se sont appuyées sur des hypothèses erronées, comme le Partenariat euro-méditerranéen qui promeut une libre-circulation des biens censée se substituer à celle des personnes.

30 H. de Haas, op. cit. [10].

31 OCDE-Centre de Développement, op. cit. [3].

Auteur : Jacques Ould-Aoudia

Economiste et président de l’association « Migrations & Développement ». Les positions développées dans ce texte n’engagent que son auteur.