« De purs hommes » de Mohamed Mbougar SARR. Un plaidoyer pour la reconnaissance de l’homosexualité en Afrique, qui prend la forme d’un roman. Un récit construit autour d’un héros fragile et sensible, entouré de femmes conquérantes et déterminées. Et… une écriture agile qui démontre les richesses offertes par la langue française quand elle tombe sous la plume d’un écrivain aussi habile à manier les mots que Mohamed Mbougar Sarr.
Cependant, quelque chose sonne creux à la lecture du roman. Le scénario est trop bien huilé. Les échanges entre les personnages sont (finalement) très convenus. On ne sait pas où se situe l’auteur, qui se cache derrière le brio de son écriture et les ambiguïtés de son personnage. Au total, un texte qui laisse ouverts bien des questionnements.
La trame du récit se construit à partir des bouleversements entrainés par la diffusion d’une vidéo montrant un fait divers sordide d’une violence inouïe. Une violence macabre tournée vers le corps mort d’un jeune homme qui est prétendu homosexuel. Un gôor-jigéen, en langue Wolof [1]. Une vidéo montre le déchainement de haine qui conduit une foule d’hommes à déterrer le corps d’un homme déclaré homosexuel pour l’extraire d’un cimentière. Un lieu où les « bons musulmans » sont sensés trouver la paix dans leur sommeil éternel. Une vidéo d’une rare violence, qui devient virale dans la société sénégalaise où la scène se passe. Avec la perversion de l’attrait morbide que provoque inévitablement la vision de ces images insoutenables.
Cette scène trouble au plus haut point le héros du roman
Ndéné, le héros, va tout faire pour retrouver les traces de l’homme que la foule a extrait du cimetière. Il rencontre la mère du jeune homme… mais le dialogue avec elle ne tient pas. Trop poli, trop prévisible. Quelque chose cloche dans le récit.
La rumeur comme personnage du roman
Le texte déroule le problème d’une façon rationnelle, presque comme le ferait une enquête journalistique. Avec quelque chose qui s’apparente à une étude sociologique sur les rumeurs, leur propagation fatale. L’impossibilité d’arrêter de la voir courir, vous envelopper, vous avaler tout entier.
Nous avons droit à un exposé des arguments des uns et des autres
Aux contradictions, évitements, approximations, simplifications qui sont de mise pour des thèmes qui touchent aussi profondément l’identité de chaque individu. Et finalement, l’identité d’un groupe avec ce côté terrifiant de l’emballement d’une croyance qui touche au plus vif les sensibilités. Et ses effets sur la violence de masse qu’elle peut provoquer.
Nous avons droit au démontage rationnel de l’illusion d’un pays, le Sénégal et plus largement l’Afrique noire, qui aurait été « épargnée » depuis toujours par l’homosexualité. Un phénomène assimilé à une perversion. Et une perversion réduite à une importation de l’Occident !
La haine, comme un torrent de boue irrépressible quand elle s’empare des foules
Mais que vaut la démonstration rationnelle face à la fureur de la haine quand celle-ci se déverse pour combler un vide, une angoisse collective… Pour occulter un pan de la réalité dont on veut à tout prix se convaincre qu’elle n’existe pas… Que c’est la faute à l’autre !
La religion entre en jeu, bien évidemment, avec le puissant levier que constitue le pouvoir d’agir sur les « imaginaires sociaux » qui prévalent. Et le pouvoir que cette possibilité accorde à qui sait manipuler les passions. La politique aussi qui instrumentalise la peur de la population de voir révélé un phénomène présent mais enfouis, caché, refoulé à l’extrême.
Pourtant, la société accepte les travestis
Plus qu’une acceptation. Un véritable engouement, mais dans un cadre établi. Dans l’ambivalence totale, la société se passionne pour un personnage ambigu qui prend un rôle majeur dans des fêtes de quartier où se déchainent la musique, les rythmes, les danses. Entrainant la population, hommes et femmes.
On retrouve ce phénomène au Maroc
Une société également répressive sur l’expression de la sexualité (et même des sentiments) et de ses « écarts ». A Marrakech, sur la Place Jamaâ el Fna, s’exhibent chaque soir des hommes travestis, un foulard ceignant les hanches, qui dansent d’une façon lascive devant un cercle de spectateurs enthousiastes. Et dans les fêtes, à l’occasion des mariages, naissances… les cheikhats, ces femmes (de réputation douteuse) qui animent ces soirées familiales, chantent et dansent entrainant toute l’assemblée. Elles sont souvent accompagnées d’un homme travesti qui danse avec elles. Et c’est souvent lui qui recueille le plus grand succès. Et les billets de banque glissés dans sa ceinture.
Les femmes, l’amour, le sexe sont de peu de recours
Ndéné entretient avec Rama, son amie de cœur, une relation forte où le sexe, partagé, est très présent. Mohamed Mbougar Sarr décrit avec une très belle et forte écriture la sensualité des scènes où Ndéné et Rama échangent idées, caresses et assauts des corps. Mais l’auteur décrit une relation très inégale. Ndéné est faible devant cette femme aimante, rebelle, puissante.
On le sait, le sexe et même l’amour ne sauvent pas les individus. C’est en eux même, en chacun de nous, que se trouvent les réponses aux questions qui nous assaillent.
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Mohamed Mbougar SARR, né en 1990 à Dakar au Sénégal, est un romancier sénégalais d’expression française. Il est le premier écrivain d’origine Subsaharienne, depuis 1921, mais aussi le plus jeune lauréat, depuis 1976, à remporter le prix Goncourt, en 2021, pour « La Plus secrète mémoire des hommes » (d’après wikipédia). Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI
Voir la note de lecture sur « La Plus secrète mémoire des hommes » ==> ICI
[1] Littéralement, un « homme-femme ».