« Les étoiles de Sidi Moumen » de Mahi BINEBINE (note de lecture). Ce roman publié en 2010 par les éditions Le Fennec de Casablanca, nous plonge dans l’univers des quartiers pauvres de la mégapole marocaine. L’auteur interroge le parcours de radicalisation de jeunes de ces quartiers qui plongent dans l’extrémisme islamiste. Au bout, les attentats de Casablanca de mai 2003 [1].

La vie dans la misère

La vie dans la décharge de Sidi Moumen, à la périphérie de Casablanca. Une décharge où chaque jour, inlassablement, des dizaines de camions vomissent les ordures de la « Ville ». La ville ? un autre monde. Tout à côté. Et infiniment loin derrière le mur de séparation.

Des enfants de ce quartier

Pour toute école, Yachine passe son temps à fouiller dans la décharge. Pour en tirer des objets à vendre. Comme tous ses copains du quartier. C’est sa vie. Agrémentée de bagarres, des matches de foot et des taloches de Yemma sa mère qui cherche à établir un semblant d’ordre et de propreté à l’intérieur de la baraque qui leur sert de maison.

La vie dans la puanteur, la poussière, la boue. Les mouches, les tiques, le cafards et autres bestioles. Les morts dont on cache le corps dans un recoin de la décharge, sous les ordures. Qui va aller soulever ces immondices pour le retrouver ?

Et en même temps, une vie de rires, d’espiègleries, de coups de poing, d’amitiés, de trahisons, de larcins…

Une vie en bande d’amis avec chef de bande, souffre-douleur et victoires éclatantes au foot. Il y a Yachine qui parle à la première personne. Nabil le bel enfant. Khalil le cireur de chaussures qui veut partir en Europe. Azzi fils du marchand de charbon. Et Hamid le grand frère de Yachine, le chef. Ce sont Les Etoile de Sidi Moumen. C’est le nom de l’équipe de foot où Yachine est gardien de but. Un des meilleurs du monde ! Et l’équipe des Etoiles est la plus forte parmi tous les autres des bidonvilles proches.

C’est aussi une vie avec le kif qui abrutit. La colle à sniffer. Le vin rouge bon marché. Et même la bière un jour d’abondance ! L’éveil de la sexualité. Le plongeon entre les fesses de Nabil un jour de délire collectif après une victoire historique au foot. Suivie d’une saoulerie. Nabil, le jeune adolescent trop blanc, trop beau, trop blond. Qui quitte sa maison tôt et rentre tard pour laisser sa mère faire son métier de prostituée.

L’âge qui vient

Les balades avec Ghizlane la belle, la douce. Elle s’occupe de son frère battu par le père, abandonné par sa mère. Elle travaille du matin au soir dans la maison. A aider sa grand-mère à tenir les lieux.

On se moque de Yachine qui « perd son temps » dans ces balades avec Ghizlane. Il rougit comme une tomate, mais c’est plus fort que lui. Il ne peut s’empêcher de la voir.

« Les étoiles de Sidi Moumen » de Mahi BINEBINE couverture du livre

Et puis la rencontre avec de nouveaux personnages

Des figures inconnues jusqu’alors débarquent dans le quartier. Des hommes bienveillants. Qui portent barbe, petite calotte blanche sur la tête et jellaba immaculée. Qui sont dans la connaissance. Ils ont réponse à tout.

Et ils ont de l’argent pour aider les jeunes à s’autonomiser. Ils savent attirer les adolescents du bidonville avec les sports de combat. Rituel du salut qui vient des traditions asiatiques… Qui glisse progressivement vers des rituels religieux. On apprend à contrôler sa violence dans les coups savants que ces hommes sérieux enseignent. Des frappes dans le vide, mais c’est Allah qu’on défend. On est accueilli dans les entrainements. Mais on doit faire la prière avant l’exercice !

Bruce Lee reste le héros. Mais « on » leur explique qu’il est fort avec son esprit plus qu’avec son corps. Et qu’il fait du bien autour de lui dans un monde dépravé !

Avec « Les étoiles de Sid Moumen », Mahi Binebine décortique les étapes de l’engagement des jeunes des quartiers populaires du Maroc dans l’extrémisme violent

Ils vivent progressivement de plus en plus entre eux. Ils se coupent de la famille, des amis qui restent hors de leur cercle. L’émir Zaïd les fascine. « Il était parvenu à nous rendre notre fierté avec des mots simples (…) Nous n’étions plus des parasites, des rebuts de l’humanité, des moins que rien. » (p119). Il dessine un horizon pavé de questionnements et d’explications qui vont avec. Lui, il trouve des solutions à tous les problèmes. Il fournit des jobs tranquilles.

Yachine renonce à voir Ghizlane. Il le regrette mais n’ose transgresser la règle qui a fini par s’imposer. Il n’a pas la force de rompre avec la logique collective qui s’instaure progressivement dans le groupe. Prières, entrainement au kung-fu, vie en commun… Tout se fait sous le regard attentif et bienveillant de Zaïd.

Le discours se fait de plus en plus intense

Ils ont été choisis par Dieu pour venger les humiliations que les « Croisés et les Juifs » font subir aux Musulmans. Les vidéos de Palestine occupée tournent en boucle. Le désir de vengeance augmente. La misère dans laquelle ils vivent est produite par les mécréants, les infidèles, les mauvais musulmans, les riches. Un mélange de ressentiment identitaire et social soude progressivement le groupe d’amis sous la conduite de l’émir et de ses seconds.

Le discours se précise

Ils iront mourir pour laver l’honneur des musulmans. Pour plaire à Dieu. La cible : des lieux fréquentés par des étrangers. Le but : faire le plus de morts possibles. La tactique est soigneusement préparée. Ainsi que le renforcement de la détermination pour résister aux tentations du démon qui ne va pas manquer de chercher à leur faire renoncer.

Yachine et ses amis iront se faire exploser dans des lieux touristiques de la Ville

Satisfaits, l’émir Zaïd et ses amis regarderont de loin la déflagration gigantesque que cet attentat a provoqué dans le monde. C’était le 16 mars 2003, à Dar El Beida, Casablanca.

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Sur le phénomène de radicalisation d’une partie de la jeunesse dans les pays méditerranéens, voir ==> ICI

[1] Une série de cinq attentats suicides terroristes se sont déroulés le 16 mai 2003 dans la ville marocaine de Casablanca. Ils furent perpétrés par une dizaine de terroristes originaires du bidonville Sidi Moumen, membres de Salafia, impliquant des binationaux franco-marocains et franco-turc des Yvelines. Le bilan s’élève à 33 victimes et une centaine de blessés. Ces attentats visaient précisément des lieux sélectionnés par les terroristes : un hôtel et un restaurant accueillant des clients étrangers, une pizzeria tenue par un Juif, le bâtiment social de l’alliance israélite, le cimetière juif de la ville ainsi que le consulat de Belgique. Wikipedia. Pour en savoir plus, voir ==> ICI