« Le voyageur à la mallette » de Naguib MAHFOUZ. De courts textes comme autant de brefs éclats de lumière sur les souvenirs de la vie au Caire dans les années 1950. Le temps passe, la ville se transforme au point de n’être plus reconnaissable. Les générations se succèdent et les quartiers perdent de leur humanité. Naguib Mahfouz, « voyageur immobile », comme l’écrit Robert Solé dans la préface, est un imperturbable amoureux du quartier islamique (du moyen âge) du Caire. Là où il a vécu et tiré son inspiration littéraire.

« Le voyageur à la mallette »

La première très courte nouvelle a donné son nom au recueil. Un fragment de la vie d’un homme qui va prendre son train à la Gare du Caire. Quelques minutes pris dans le récit au cours de ce matin de départ. Sa femme l’accompagne en voiture. Embouteillages dans la ville. A des mots et nuances d’une imperceptible subtilité, on devine un grand amour entre ces deux êtres. Dans la cohue de la Gare, il reconnait une femme qu’il croyait disparue. Ils se saluent brièvement. Il est troublé. Des amis sont venus le saluer. Comment ont-ils été informé de son départ ?

Le fragment s’arrête là, on n’en saura pas plus. Ni avant, ni après ce court récit. D’une banalité immense et dont se dégage pourtant une immense émotion.

« Le voyageur à la mallette » de Naguib MAHFOUZ couverture du livre

« Le vieux quartier »

Un homme âgé retrouve les lieux où il a passé son enfance dans un vieux quartier du Caire islamique [le Caire médiéval]. Les bâtiments anciens ont disparu. Ou tombent en ruine. Où est-elle, la belle Zeinab qui le regardait depuis sa fenêtre. Il avait 10 ans. Elle, 20 ans et toute la fraicheur de son âge. Qu’est-elle devenue ? Elle qui se montrait sévère avec le jeune garçon qu’il était. « Mon petit gars, tu es indécent. Baisse les yeux ! ». Mais il en rêvait la nuit. « Tu échoues aux épreuves de mathématique et de religion. Et tu rêves de Zeinab ! » l’avait sermonné sa grand-mère un matin après une nuit agitée.

Il y avait aussi Rifa’a, un enfant chétif, souffre-douleur de la bande de garçons qui couraient dans la ruelle. Et puis Cherbini, le costaux, le petit voyou qui avait pris la tête de la bande. Un vrai futuwwa pour le quartier. Qui entrainait les garçons dans des coups. Les bons et les mauvais coups. Comme de faire découvrir le cirque à la bande émerveillée. Ou, plus fort, de balancer un chat mort dans le wagon de 1ère classe du tram qui passait par là.

Et puis Rifa’a meurt. Et la bande d’enfants de se poser des questions. Que devient on après la mort ? Qu’est-ce que le Jugement dernier ? Le jeune Rifa’a sera-t-il accepté au ciel. Mais le Paradis, c’est après le Jugement, pas maintenant !

Que reste-t-il de ces années d’insouciance ?

« Le retour »

C’est celui d’un mauvais garçon qui a passé un nombre élevé d’années en prison pour un crime commis pendant qu’il était le petit « caïd » du quartier. Un futuwwa fier et indomptable comme il y en avait dans chaque ruelle, chaque coin du Caire médiéval.

Il revient et ne retrouve plus les hommes qui composaient sa bande quand il était jeune et fort. Que sont ils devenus ? Il retrouve une connaissance. Le vieux gardien de la Zaouïa du quartier. Ils sont si contents de se revoir et d’évoquer le passé.

L’homme sort de prison. « Je suis l’étranger, sans toit, sans ressources. Et qui cherche ses hommes. » Il est devenu étranger à son quartier. Il prend conscience de la perte totale de tout pouvoir. Lui qui régnait en maitre dans ces rues.

Que peut-il faire pour vivre ? Le gardien, à mots prudents, lui suggère… de devenir cireur de chaussures. Du fond de son désespoir, l’homme ne rejette pas l’idée. « Si j’avais prévu le sort qui m’attendait, j’aurais commis un crime en prison. Pour y rester jusqu’à l a fin de mes jours. »

Un livre sur le souvenir

Un recueil de textes qui parle des traces que laisse le souvenir dans notre conscience quand un évènement, un lieu, une personne les réactive. Une remémoration mise en scène dans l’espace de quelques quartiers du Caire qui ont servi de scène pour la vie et pour l’œuvre entières de Naguib Mahfouz. Ce « voyageur immobile » !

Un livre sur la vieillesse, l’oubli. Une triste émotion nous envahit à la lecture de ces pétales de réminiscences. Comme Naguib Mahfoud sait si bien les mettre en mots.

Prix Nobel, Stockholm, 1988

Ce recueil de nouvelle est précédé du discours de Naguib Mahfouz à l’occasion de sa réception du Prix Nobel de littérature. L’auteur a toute sa vigueur, sa détermination, pour témoigner avec force de la nécessité de faire triompher l’humanisme.

Il parle de son amour pour la langue arabe qu’il a si magnifiquement maniée. De son double héritage revendiqué au nom de l’humanisme, pharaonique et islamique. Il évoque avec force sa colère et son chagrin à propos de la situation sur les terres palestiniennes où règne l’occupation par la force et le déni du droit.

C’est en tant qu’habitant du Tiers Monde qu’il s’adresse aux dirigeants. Il leur demande de changer le cours du monde. En mobilisant leur sens de responsabilité vis-à-vis de tout le genre humain.

Son message est plus actuel que jamais.

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Najib Mahfouz (arabe : نجيب محفوظ, Naǧīb Maḥfūẓ), est né en 1911 au Caire et mort en 2006 dans la même ville C’est un écrivain égyptien contemporain de langue arabe ; Un intellectuel réputé d’Égypte, ayant reçu le prix Nobel de littérature en 1988.

La carrière littéraire de Naguib Mahfouz se confond avec l’histoire du roman moderne en Égypte et dans le monde arabe. Au tournant du XX° siècle, le roman arabe émerge dans une société et une culture qui découvrent ce genre littéraire à travers la traduction des romans européens du XIX° siècle.

Pour Naguib Mahfouz, une société aussi forte et aussi ancienne que la société égyptienne, ayant conservé des traditions millénaires tout en se modernisant, peut s’approprier et intégrer, sans crainte, des aspects de la culture occidentale. Car cet écrivain s’est mis surtout, dans son œuvre, à l’écoute de ce peuple égyptien. De ses aventures intimes comme de son histoire (d’après Wikipédia). Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI

La production littéraire de Naguib Mahfouz est très abondante. Un fil court dans ses œuvres : l’émergence de l’individu dans la société égyptienne, sous le choc de la modernité. Une modernité importée d’Europe, dans une société ceinturée par une lourde tradition adossée au passé mythique et à une interprétation littéraliste de la religion.

Ce site comprend un nombre important de notes de lectures de ses romans. Notamment « Le jour de l’assassinat du leader ». Voir ==> ICI