Henri Cartier-Bresson : une approche singulière de la photographie. Mais aussi de l’acte photographique. Ce présent texte est complémentaire du texte biographique que Pierre Assouline a fait sur le grand photographe qu’a été Henri Cartier-Bresson. Il est tiré de cette biographie, où l’auteur émaille l’ouvrage de remarques sur la démarche qu’HCB adopte en liant étroitement sa vie et la photographie.

Voir la note de lecture sur la biographie d’Henri Cartier-Bresson par Pierre Assouline ==> ICI

La démarche de Cartier-Bresson

Une démarche en trois dimensions, qui produisent des images qui seront très tôt reconnues par les responsables des plus grands journaux et magazines. A Paris, à New York. HCB a 25 ans.

  1. Une approche formelle de l’image. Prise dans une géométrie rigoureuse. L’importance de la « composition » a été acquise très jeune. Avec l’exigence (presque) absolue de ne pas recadrer la photo au tirage-papier. C’est l’héritage de sa formation à l’école de Lhote, on l’a vu dans le texte précédent. On verra ci-après le commentaire fait par un peintre sur une image de Cartier-Bresson, prise en Chine en 1949.

 

  1. Henri Caertier-Bresson
    Une composition magistrale

    Ensuite, une posture par rapport au monde, son appareil à la main. Marquée par son immense désir/besoin de liberté. Par son extrême mobilité. Son coté autodidacte lui a évité les carcans de la pensée enseignée qui souvent limite, bride la créativité. Il construit empiriquement sa position de photographe en refusant les démarches conventionnelles. Par exemple, en photographiant les spectateurs plutôt que le carrosse du roi d’Angleterre qui vient d’être couronné. En limitant l’intellectualisation de la photo.

  2. Enfin, la jouissance du chasseur. En allant chercher « à côté » le sens des choses. Selon sa sensibilité. Selon son intuition. L’œil aux aguets. En créant lui-même ses sujets, « à côté » des désirs de ses « commanditaires ». Dans commanditaire, il y a commande, souligne l’auteur. Quand il couvre l’actualité, c’est « par la bande ».

Vis-à-vis des sujets qu’il prend, c’est un acte de capture. Il se comporte comme un chasseur, à l’affut. Avec le plaisir de « tirer ». De tirer à la dérobée. Souvent, il peut « forcer » l’autre dans ce geste. « Images volées ». A tout le moins, user de la surprise. Du fait accompli.

Illustration par le texte de cet esprit de géométrie

Une photo prise en Chine illustre l’approche de HCB. Voici ce qu’écrit à son propos le peintre Avigdor Arikha [1] cité par Pierre Assouline page 269.

Henri Cartier-Bresson : une approche singulière de la photographie
Henri Cartier-Bresson. Shanghai, 1949

« Dans un espace horizontal parfaitement d’équerre, deux hommes. L’un immobile, regardant ailleurs. L’autre mangeant, regardant dans son bol. Le noir à gauche et le blanc à droite entrainent la tension. Au coin d’ombre noir à gauche, répond la porte à droite en haut de laquelle un second rectangle enlacé engendre un rythme hypnotique. A gauche, une porte donnant sur le vide noir, dont l’ouverture st un rectangle inversé, encadre en contrepoint le Chinois immobile regardant ailleurs. A son immobilité silencieuse, répond l’homme assis qui mange. Il est campé exactement à l’intersection harmonique du nombre d’or. Il tient un bol dans ses mains. Un autre bol, posé sur le banc, répond en écho au premier. La calotte noire est leur contre point. Des ombres hachées et diagonales frappent de haut en bas et de droite à gauche, inquiétant l’horizontalité paisible de la scène. Tout cela tient du miracle. »

Les choix du photographe

  • Le noir et blanc, comme convention qui ne trompe pas. A l’inverse de la couleur qui prétend être fidèle. Alors qu’elle dépend de l’industrie chimique (HCB pense aux tirages sur papier). Donc, il fera très peu de photos en couleur. Presque à regret. La photo emblématique de HCB, c’est, en Noir et Blanc, l’homme qui saute sur une flaque d’eau derrière la Gare St Lazare.
Henri Cartier-Bresson : une approche singulière de la photographie
Derrière la Gare St Lazare, Paris., 1932 Exposition à la Fondation Cartier Bresson

 

  • Les planches contact ? C’est l’intimité du photographe dans son acte. Il tourne autour du sujet, et de l’ensemble des photos prises, consignées sur la planche, il en sort une. Une seule. Surtout ne pas dévoiler l’approche, les tâtonnements. La planche contact reste dans les cartons du photographe. Nulle part ailleurs.
  • Le recadrage ? Il n’en est pas question ! Il faut impérativement respecter ce que l’œil a vu dans le viseur. Et le restituer tel quel sur la photo-papier. Ce point n’est pas négociable pour HCB.
  • La mise en scène d’une photo ? C’est tout le contraire de l’esprit photographique qui l’anime. Ce qu’il fait : saisir l’instant, le vrai, la vie. Pas une reconstitution. Pas un simulacre. On pense à la polémique qui a couru à propos de la photo de Robert Doisneau « Le baiser de l’Hôtel de Ville»[2]. Une controverse qui a assombri la vie du grand photographe qu’a été Doisneau.
  • Le flash ? Absolument exclu ! Outre la déformation de la lumière, il transforme la prise de vue discrète en agression totale.
  • La technique. Cartier-Bresson a été fidèle au Leica (M4 et 3G). Il utilisait des pellicules de 400 asa en 24×36. Avec un objectif de 50 milimètres, celui qui restitue le plus fidèlement le regard.

Au total, HCB prendra utilisera 15.000 rouleaux de pellicule de 36 poses. Soit un total, d’environ 540.000 prises de vue.

Argentique

Que ce serait-il passé si HCB avait utilisé la photo numérique ? Déjà, Roland Barthes avait investi intellectuellement la photographie dans le format qu’il connaissait, l’argentique. Il en tirait des conclusions qui ont été balayées par l’irruption de ce nouvel outil.

On trouvera ==> ICI une note de lecture sur « La chambre claire » de Roland Barthes.

& & &

[1] Avigdor Arikha est un peintre et graveur figuratif franco israélien, né en 1929 à Rădăuți en Bucovine et mort en 2010 dans à Paris. (Wikipedia)

[2] Le Baiser de l’hôtel de ville est une photographie en noir et blanc du photographe français Robert Doisneau. Prise en 1950 à proximité de l’hôtel de ville de Paris, elle représente un homme et une femme qui s’embrassent tout en marchant sur un trottoir encombré de passants, devant une terrasse de café. La photographie a été réalisée par Robert Doisneau pour le magazine Life qui l’a publiée le 12 juin 1950 au sein d’une série de photographies sur le thème de l’amour à Paris au printemps.

Cette photographie, tombée dans l’oubli pendant près de trente ans, est devenue célèbre avec la commercialisation, en 1986, de 410 000 exemplaires d’un tirage en format affiche, un record mondial. Ce cliché a été au cœur de nombreux contentieux, dont un procès retentissant du vivant de Robert Doisneau. D’après Wikipédia. Pour en savoir plus sur cette photo et la controverse, voir ==> ICI