« Cartier-Bresson » de Pierre ASSOULINE. La biographie d’un homme remarquable : « L’œil du siècle ». L’auteur, Pierre Assouline, s’engage fortement dans ce narratif. La vie d’Henri Cartier-Bresson m’intéresse doublement. Comme témoin du XX° siècle sur son volet artistique, sur l’évolution des idées… Mais aussi (surtout), comme photographe, car il rencontre une de mes passions. Voir le monde, au sens propre. Le « capturer » gentiment avec des images. Pour la beauté, pour le sens que certaines d’entre elles peuvent porter. Pour le plaisir.
En complément de cette note de lecture, on trouvera une partie complémentaire qui développe tout particulièrement la démarche photographique de Cartier-Bresson d’après le récit biographique de Pierre Assouline ==> ICI
Enfant rebelle et choyé
Henri Cartier-Bresson (HCB), fils d’une famille de riches industriels laborieux, sobres et pétris de rigueurs[1], est très tôt attiré par la création. Cette attirance va de pair avec la manifestation discrète mais ferme de son opposition au monde bourgeois, auquel le destine sa famille. D’ailleurs, il ne manifeste pas d’élan pour les études. Il échoue par trois fois à l’examen du baccalauréat ! Ce qui prive son oncle du cadeau rituel à tout jeune de la famille qui réussit son baccalauréat : un fusil de chasse.
Dessin, musique, littérature… Les oncles, les connaissances des parents, se penchent sur son berceau. Ils lui offrent, finalement, de quoi aller dans le sens de ses aspirations.
Il avait 10 ans quand la Première Guerre Mondiale s’achève. Deux de ses oncles y sont morts.
L’éveil : la géométrie, le surréalisme, l’Afrique
Quittant l’école sur un échec, le jeune HCB veut être peintre. Il commence des études dans l’atelier-école d’André Lhote[2] à Montparnasse. Il y apprend la composition d’une œuvre graphique. Cela mobilise des notions de géométrie. Cette discipline l’avait tant rebuté au lycée ! Il conservera, comme photographe, une grande attention à la composition de ses œuvres. Il ajoutera ensuite « l’instant ».
Cartier-Bresson vit ses vingtièmes années avec l’essor du mouvement surréaliste [3]. Le grand massacre de la guerre vient de s’achever. Les certitudes bourgeoises et ses carcans sont mis en doute. Surtout sur le terrain du mode de vie. Le progrès, la colonisation, la supériorité de l’homme blanc commencent à peine à être questionnés.
Il débarque dans ce bouillonnement, comme jeune homme discret et observateur. Accompagné de mentors prestigieux, il croise dans les salons et dans la littérature les principaux acteurs de ce mouvement. Notamment André Breton. Mais aussi ses autres turbulentes personnalités. Leurs manifestes. Leurs conflits et leurs divisions…
Rapidement, il étouffe dans ce milieu trop parisien
Comme tant de jeunes hommes d’Europe, fils de bourgeois ou déclassés, il s’échappe vers l’ailleurs. A cette époque, « l’ailleurs » en France, ce sont les colonies. Là où la domination de la métropole assure une position en surplomb sur les populations, et une certaine sécurité. Il va sillonner pendant un an la Côte d’Ivoire et ses alentours. Un fusil à la main, car il a appris, dans sa famille, la chasse. Là-bas, ce ne sont pas des lapins et perdreaux comme dans sa Normandie natale. Mais des éléphants et hippopotames ! De grosses bêtes dans sa ligne de mire !
C’est pourtant une minuscule bestiole qui met fin à son aventure dans les colonies. Une sévère bilharziose [4] le terrasse. Il est sauvé par son « boy », Doua, qui lui administre la médecine traditionnelle. Il rentre en France.
Le choix de la photographie
La photographie ? Une distraction, un passe-temps, pour son père. Il maintient son choix, du haut de ses 23 ans. Une activité adaptée à ce qu’il est, ce qu’il aime. Visuel, intuitif, mobile. C’est pour HCB la fin de la peinture. D’ailleurs, il détruit toutes ses toiles pour passer à la photographie.
Selon la légende, c’est la vue d’une photo de Martin Munkacsi [5]: Enfants noirs au bord du lac Tanganika (1932) qui bouleverse HCB et décide de son orientation vers la photographie.
Photo/Peinture
Dans la petite société des artistes, le débat s’est ouvert devant ce nouvelle forme d’expression/de création. « L’une constate, l’autre créé » écrit Brassaï en 1932. La bataille fait rage pour attribuer ou non le statut d’art à cette nouvelle activité qui progresse à coté, contre, en dehors de la peinture millénaire. Le journalisme commence à s’ouvrir aux images photographiées. Des revues, de mode notamment, se créent et donnent un souffle à cette activité.
JOA : Sur la photographie, nous pensons ici aux infinies détours que Roland Barthes prend dans sa recherche d’une définition de cette expression visuelle [6]. Il apporte une réponse simple : la photographie dit que « cela a été ». Mais c’est une réponse aussi claire qu’éphémère. Car la photo numérique et l’Intelligence artificielle aujourd’hui mettent à mal cette définition. Ce qui a été a pu aussi être fabriqué artificiellement.
Cartier-Bresson rencontre André Keretz, Man Ray, Brassaï... Mais aussi Max Jacob, Léonor Fini…
Il fait une balade en Europe
Tout d’abord, il acquiert à Marseille un appareil photo. Contre les lourds appareils à trépieds, ce sera un outil mobile, léger, rapide. Un choix unique et permanent tout au long de sa vie. Le Leica, format 24×36, focale fixe de 50 millimètres, ouverture 3.5.
En voiture pour un tour en Europe, avec André Pieyre de Mandiargues et Léonor Fini. Son Leica à la main. Il découvre notamment Venise et la peinture italienne. Il déteste et l’une et l’autre. Trop conformiste pour lui.
Retour à Paris
A Montparnasse plus exactement. Il a ses habitudes au Dôme. Il y croise le tout Paris des artistes. Où se pressent des créateurs venus d’Europe de l’Est, d’Amérique… Rencontres… Il consulte une voyante. Après coup, on dit qu’elle a déroulé au jeune Henri le parcours de sa vie.
HCB travaille pour le magazine Vu. Premières photos vendues. Oui, il peut gagner de l’argent avec son travail photographique !
Il part en Espagne pour le magazine en 1933, ramenant de surprenantes photos d’Andalousie. Des vues de la rue, des gens, des enfants. Des photos « volées » à la volée.
A Paris, il se lie d’amitié avec un homme venu de l’Est, passionné de travail sous les lumières rouges du laboratoire. C’est lui qui effectuera ses tirages. La règle : pas de recadrage. « La force de l’instantané, c’est sa spontanéité, défauts inclus » (p 115)
Sa légende commence à se construire, photo après photo. Il n’a pas 30 ans, il ne fait de la photographie que depuis quelques années. Il les vend à des magazines. Mais il est aussi sollicité pour les exposer. Notamment dans une galerie à New York.
Départ pour le Mexique
Cartier-Bresson part dans une « expédition » bizarre qui tourne au vinaigre. Il est dépouillé de tout son argent. Mais il refuse l’aide de son père. Il restera une année à Mexico, comme en Côte d’Ivoire. Aura une aventure avec une jeune mexicaine des quartiers populaires. Très vite, il rencontre des artistes. Sans le sou, comme lui. Qui vivotent en vendant, mal, des photos. Il s’intègre dans la société mexicaine.
Aventures, amitiés, amours… Il continue de parcourir la vie comme elle vient. Toujours disponible pour capturer une image. Ainsi de « L’araigné d’amour » qu’il fait par effraction en surprenant un couple de lesbiennes dans leurs ébats amoureux.
Son ami René Crevel [7] se suicide à Paris.
Henri Cartier-Bresson atterrit à New York
Il débarque à Manhattan. Toujours sans le sou. Mais avec une immense capacité à activer ses connaissances. Avec un mélange de timidité et d’assurance de soi. Comme à Montparnasse, à Mexico, HCB fait des rencontres dans les milieux d’artistes plus ou moins marginaux. Fascination pour Harlem. Pour les clubs de jazz qu’il fréquente assidûment. Il noue une relation avec une jeune femme noire.
Peinture, Photo. Et Cinéma ?
Retour à Paris des années 1930 où la période d’après-guerre se termine. On ne sait pas alors qu’on est dans une « période d’avant-guerre ». Mais la situation se tend.
Cartier-Bresson veut abandonner la photo. Pour faire du cinéma. Il trouve un poste d’assistant auprès de Jean Renoir [8]. C’est Aragon qui a commandé à Renoir un film pour le compte du Parti Communiste. « La vie est à nous » : un film qui exalte les luttes et les conquêtes sociales, tout à l’honneur du commanditaire.
HCB est à nouveau retenu par Renoir pour « Partie de campagne ». L’adaptation d’une nouvelle de Guy de Maupassant. Toujours comme assistant réalisateur. Il rencontre Luchino Visconti, Jacques Becker…
Dehors, la situation politique évolue fortement
Après les émeutes de l’extrême-droite du 6 février 1934 à Paris, les élections de 1936 ont porté au pouvoir le Front Populaire. Il n’est pas communiste, mais très conscient du danger fasciste. Il adhère à l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires [9], créée par Paul Vaillant Couturier.
On le recrute comme salarié (son premier salaire !) au journal Ce soir, dirigé de fait par le PC. On y dénonce les « 200 familles » dont fait partie la sienne. C’est pourquoi, selon l’auteur, il ne signe que de son nom « Cartier ».
Amitiés, amour
Il se lie à Paul Nizan, lui aussi embauché à Ce soir. Ils partent à Londres pour couvrir le couronnement du roi Edouard VIII. Du défilé royal, il photographie… les spectateurs. Ceux qui font la société britannique. Pas les monarques, leurs carrosses et leur faste.
JOA. Sans connaitre ce trait de Cartier-Bresson, j’ai adopté souvent la même attitude. Notamment lors de spectacles de corrida, j’ai photographié les spectateurs, leur enthousiasme, leurs peurs, leurs joies…
Il se lie également à Alberto Giacometti. Ils ont à peu près le même Panthéon des peintres, dont Paolo Ucello [10], pour son sens aigu de la composition.
Il épouse Ratna, une femme de Java, venue à Paris pour apprendre la danse.
Il rejoint l’Espagne républicaine
Le pouvoir légal vacille sous les coups des troupes fascistes de Franco. En soutien aux Républicains, il part, cette fois avec une caméra. Un film de 42 minutes en sort « Victoire de la vie ». Un second film sur les militants américains engagés dans les Brigades internationales sort également.
Défaite des Républicains.
Cartier-Bresson revient à Paris
Il réintègre l’équipe de Jean Renoir dans « La règle du jeu », et y tient même un (petit) rôle.
1938-39, la guerre se prépare. Il est mobilisé comme photographe. Son ami Paul Nizan est tué dans les premiers jours du conflit.
Au moment de l’invasion allemande de juin 1940, il est capturé dans les Vosges. Il rejoint le million et demi de prisonniers qui vont travailler dans les camps en Allemagne au service de la guerre. Trois ans de captivité ! Les deux premières évasions échouent. La troisième le ramène en France.
Faux papiers, vie clandestine
Il va chercher son Leica qu’il avait enterré à Metz avant d’être capturé. Et reprend son travail de photographe. Sous une fausse identité, il photographie Paul Claudel, et des peintres. Georges Rouault, Pierre Bonnard, Henri Matisse, Georges Braque.
Un livre attire son attention : « Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc »[11]. C’est par rapport à l’acte photographique qu’il en tire des enseignements. Le tir à l’arc comme le déclic de la photo : la disponibilité, l’éveil, l’absence de préparation (HCB déteste les mises en scène des photos), l’intension pure, détachée….
Fin de la guerre. Paris est libérée
Henri Cartier-Bresson y participe, son Leica au poing. Il couvre tous les évènements qui ponctuent ce moment historique.
Il va faire de magnifiques portraits de tout le monde créatif/artistique qui circule à Paris, dans l’euphorie des premières années après la Libération. Parmi eux : Edith Piaf, Jean Paulhan, Christian Dior, Louise de Vilmorin, Paul Eluard, Edouard Pignon… Mais encore Pablo Picasso, Stravinski, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Paul Valéry, Irène et Frédéric Juliot-Curie… Simone de Beauvoir, Darius Milhaud…
En 1947, un grand galériste de New York, le pensant disparu dans le tourbillon de la guerre, organise… une exposition posthume. Ayant appris que Henri Cartier-Bresson est en vie, il maintient l’exposition et l’y accueille !
Il part dans le Sud des Etats Unis avec le jeune écrivain Truman Capote.
L’agence Magnum est créée en 1947 à New York par 5 photographes
Elle est tout sauf une « agence », au sens où ce sont les photographes qui détiennent le pouvoir, sur une base de grande liberté. Robert Capa en est, avec Henri Cartier-Bresson. Ils se partage le monde, et HCB s’attribue l’Asie. Avec son épouse Ratna, il dispose de clés dans la compréhension de ce continent. Il saisit également l’enjeu profond et irréversible de la période : la décolonisation !
L’Inde secoue le joug colonial… et s’engage dans la douleur de la partition avec le Pakistan dans l’indépendance. Il a la chance de saisir sur sa pellicule le Mahatma Gandhi dans ses derniers jours. Son assassinat par un fanatique indouiste interviendra peu de temps après. Cartier-Bresson est là pour saisir l’immense émotion qui saisit un peuple lors de ses funérailles.
Après un séjour au Pakistan qui vient de se former, dans la douleur, comme pays indépendant aux côtés de l’Inde, l’agence l’envoie en Chine.
La Chine bascule une seconde fois dans le siècle
La république du Kuomintang [12] s’effondre sous l’avancée du Parti Communiste Chinois. HCB se retrouve au milieu de ces forces qui s’affrontent, à Pékin puis à Shanghai. Le monde chinois s’écroule une seconde fois, après la chute de l’empire au début du siècle.
Il tire près de 35.000 photos pendant son séjour en Chine. L’une d’entre elle servira très souvent d’illustration aux effets sur la population d’une crise financière.
La consécration
Henri Cartier-Bresson est reconnu comme un des plus grands photographes. Lui, le (p 279) « … grand bourgeois libertaire, à [la] morale d’archet zen de Normandie, à la curiosité frénétique pour le monde… ».
Une sélection de ses photos est publiée sous le titre « Images à la sauvette » en 1952 dans une revue prestigieuse. Avec une introduction par lui-même où il se livre. Du moins il livre quelques clés pour comprendre sa démarche de photographe singulier. Une traduction en anglais est éditée sous le titre « The decisive moment ». Une exposition au Louvre est organisée. Une première pour le grand musée !
D’autres publications suivent
Avec Robert Delpire, éditeur, qui devient son ami. Jean-Paul Sartre écrit la préface d’un album photo sur la Chine. Tandis que Charles de Gaulle refuse de se prêter à la photo avec lui. Il n’accepterait que des photos officielles, selon ses mots. On sent bien que de Gaulle a perçu la force du photographe pour percer les cuirasses dans les portraits qu’il fait. Et de cela, le Général ne veut pas ! Le refus du général est un hommage à son talent de photographe.
D’autres portraits [13] : Marcel Duchamp, Man Ray, William Faulkner, Léonard Bernstein, Pablo Picasso, Miro… Et aussi Alberto Giacometti dans son atelier de la rue d’Alésia.
Robert Capa dont il se sentait si proche, meurt sur l’explosion d’une mine au Viet Nam en 1954.
HCB est de tous les grands évènements qui ponctuent le temps
Il couvre la manifestation du 13 février 1962 pour les funérailles des morts assassinés par la police au métro Charonne, quelques jours avant. Un massacre effectué contre une manifestation pour la fin de la Guerre en Algérie. Celle-ci est sur le point de s’achever.
JOA : J’étais à cette immense manifestation, Place de la République. Mon père m’y avait amené, et j’en garde un souvenir précis, fait d’émotions et de sentiment de responsabilité. C’était ma première manif !
Il est aussi de la grande manifestation du 4 mars 1972 pour la mort du militant maoïste Pierre Overney, assassiné par un vigile devant l’usine Renault. Un immense rassemblement. JOA : J’étais aussi à cet évènement, qui a marqué la dernière mobilisation populaire de l’après 1968. En forme de chant du cygne.
Il est le premier photographe invité en URSS. Il retourne en Chine
HCB rapporte de l’autre côté du « rideau de fer » un témoignage subtil. Il y reste 10 semaines, déjouant le reportage officiel, la censure policière et la propagande occidentale. Comme à son habitude, il revient avec des images de la vie des gens.
Retour en Chine, 9 ans après son premier voyage. Il y reste 4 mois ? Il note que les Chinois sont très rétifs à être photographiés à l’improviste. JOA : j’ai trouvé qu’ils appréciaient énormément d’être pris en photo en posant. Voir ==> ICI mes albums photos « retour de Chine ».
Toutes ses photos sont accompagnées de légendes précises, factuelles, non interprétatives. Il fait de leur mention une condition sine qua non pour leur publication. Il craint par-dessus tout les récupérations politiques de ces images !
Lui, l’homme engagé, reste éloigné de la Guerre d’Algérie
Peur d’une récupération ? L’agence Magnum est absente de ce long et douloureux conflit de l’après-guerre en France et en Algérie. Un « trou blanc » dans la vie de HCB.
Cuba, avec des photos de Fidel Castro et de Che Guevara
La rue, les campagnes, le travail dans les champs de canne à sucre… Mais ses photos du Che n’auront pas l’intensité de celle qu’Alberto Korda fera du héros révolutionnaire. Une image qui survivra dans tant d’esprits du monde entier !
Controverses au sein de l’agence Magnum
Faut-il aller vers la télévision ? Faire de la publicité ? La pression à la marchandisation du monde s’accroit ; Elle se fait sentir au sein de l’équipe de l’agence. HCB quitte Magnum. Il veut garder sa liberté, ne pas céder aux lois du marché. Il en a la possibilité.
Avec François Nourrissier comme écrivain, il s’engage au début de 1968 dans un projet « Vive la France ». Il capte par l’image ce que la France a d’essentiel, comme à son habitude. Mais, selon Pierre Assouline, le dialogue entre texte et image ne fonctionne pas. Le livre n’aura pas d’écho.
Mai 68
HCB est présent. Il couvre les principaux moments de lutte. Mais il ne participe pas à l’euphorie éphémère qui s’empare d’une partie de la société.
Sa notoriété grimpe au zénith. En France, aux Etats Unis.
Il décide d’abandonner la photographie… pour le dessin. Il bouleverse plusieurs pans de sa vie. Divorce avec Ratna : départ de Magnum ; abandon de la photo.
Il épouse Martine Frank, une photographe… Mais il garde son Leica dans la poche.
Le regard
Seul compte le regard. Peu importe l’outil : crayon, pinceau, appareil photo. Surtout, ne pas intellectualiser une photo. Elle doit parler d’elle-même, pour HCB. (p 355) « Mais enfin, demande-t-on au père d’une jolie fille comment il l’a faite ? »
Il se lance dans le dessin. Il est même exposé pour cela. Mais est-ce le dessinateur qu’on expose ? Ou les dessins du grand photographe, Cartier-Bresson ?
Peu d’amis vont lui dire que ses dessins ne vont pas. Trop brouillon, trop confus. Lui qui pense la photo en centièmes de secondes sur son Leica.
La fin de la biographie approfondit le portrait de l’homme
Un portrait toujours relié par Pierre Assouline avec son activité de photographe. Et sa démarche.
On trouvera dans un texte qui suit un développement sur cette démarche photographique. Voir ==> ICI
De ces riches développements sur sa personnalité, je retiens quelques traits. Cartier-Bresson détestait l’opéra, comme forme d’art dont il disait qu’on ne peut écouter et voir en même temps.
Il jugeait l’avènement de la société de consommation, qu’il détestait, comme la rupture anthropologique fondamentale survenue au XX° siècle dans la trajectoire de l’humanité. C’est ce qui avait motivé sa position, au sein de l’agence Magnum, faisant du refus de travailler pour la publicité un principe absolu. Après son départ, il reprochera à la fille de Pablo Picasso d’avoir vendu le nom de son père à une marque de voitures !
Pierre Assouline brosse à la fin de sa biographie un portrait en forme d’immense statue à Henri Cartier-Bresson. Un homme attachant avec qui il s’était lié d’amitié tout au long des 5 années de travail pris pour dresser cette biographie.
Une écriture brillante. Trop brillante ?
Pierre Assouline nous livre là un texte sur HCB écrite avec brio. Avec un sens de la formule. A sa lecture, on a des difficultés à départager ce qui tient du sujet, le photographe, de ce qui vient de l’auteur, le biographe. On pense ici à la distance que Stephan Zweig prenait avec les sujets de ses biographies [14].
On imagine que c’est la proximité entre l’auteur et le photographe qui nourrit la richesse du texte. Un récit qui forme aussi une histoire de la vie artistique et des débats qui l’ont traversé dans la France du XX° siècle.
Le récit se déroule en suivant cet autodidacte curieux, volontaire, mobile, ouvert sur les autres, qu’est Cartier-Bresson. Un jeune homme de grande famille qui a su profiter positivement de son origine, sans se laisser enfermer par ses assignations. En prenant tous les risques personnels dans ses immersions aux coins du monde et son affirmation singulière comme preneur d’images.
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Henri Cartier-Bresson, né en 1908 à Chanteloup-en-Brie et mort en 2004 à Montjustin, est un photographe, photojournaliste et dessinateur français. Connu pour la précision et le graphisme de ses compositions (jamais recadrées au tirage), il s’est surtout illustré dans la photographie de rue, la représentation des aspects signifiants de la vie quotidienne. Avec Robert Capa, David Seymour, William Vandivert et George Rodger, ils fondent en 1947 l’agence coopérative Magnum Photos.
Le concept de « l’instant décisif » est souvent utilisé à propos de ses photos, mais on peut l’estimer trop réducteur et préférer celui de « tir photographique », qui prend le contexte en compte. Pour en avoir plus, voir ==> ICI
Pierre Assouline, né en 1953 à Casablanca, est un journaliste, chroniqueur de radio, romancier et biographe français. Ancien responsable du magazine Lire, membre du comité de rédaction de la revue L’Histoire et membre de l’académie Goncourt depuis 2012, il a notamment écrit les biographies de Marcel Dassault, Georges Simenon, Gaston Gallimard, Jean Jardin, Daniel-Henry Kahnweiler, Albert Londres ou encore Hergé. Il est l’auteur de milliers d’articles et de chroniques radio. Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[1] Cette classe de bourgeois passionnés par leur travail, inventifs et innovateurs, fera la force du capitalisme de la fin du XIX° siècle en Europe. Répartis plutôt sur la partie Nord du territoire de France, ils donneront à ce pays une classe qui doit sa richesse à son labeur, son inventivité, sa conformité aux normes strictes dominantes.
[2] André Lhote, né à Bordeaux en 1885 et mort à Paris en 1962, est un peintre, graveur, illustrateur, théoricien de l’art et enseignant français (d’après Wikipédia). Pierre Assouline dit de lui, dans cet ouvrage, qu’André Lhote était un vrai pédagogue mais un peintre médiocre.
[3] Le surréalisme est un mouvement poétique et artistique du XXe siècle directement issu de la révolte incarnée par le mouvement dada tout à la fin de la Première Guerre mondiale. Comprenant l’ensemble des procédés de création et d’expression (peinture, dessin, musique, photographie, cinéma, poésie, contes…) utilisant toutes les forces psychiques (automatisme, rêve, inconscient) libérées du contrôle de la raison et en lutte contre les valeurs reçues, il est caractérisé par sa transdisciplinarité et l’importante collaboration entre ses membres.
En 1924, André Breton le définit dans le premier Manifeste du surréalisme comme un « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale […] ».
Le surréalisme repose sur la conviction qu’il existe une réalité supérieure dans certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, comme la toute-puissance du rêve ou le jeu désintéressé de la pensée. Il se plaît aux rapprochements inattendus entre des termes apparemment inconciliables, de façon à faire jaillir un sens neuf. En réactualisant la dimension poétique de la peinture, le surréalisme se heurte à la question de la représentation du non-figurable et de l’indicible (d’après Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[4] La bilharziose est une maladie parasitaire due à un ver hématophage. Elle est présente dans les zones tropicales et subtropicales : en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie et dans le bassin méditerranéen. Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[5] Martin Munkacsi né en 1896 à Kolozsvár (Cluj-Napoca) et mort en 1963 à New York, est un photojournaliste et photographe de mode hongrois ayant opéré à Berlin de 1928 à 1934 puis à New York. Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[6] Voir la note de lecture « La chambre claire » ==> ICI
[7] René Crevel, né en 1900 à Paris et mort en 1935 à Paris, est un écrivain et poète français, dadaïste puis surréaliste, et membre de l’Ordre de Tolède de Luis Buñuel et de Federico García Lorca (Wikipédia)
[8] Jean Renoir est un réalisateur et scénariste français né en 1894 à Paris 18e et mort en 1979 à Beverly Hills. Ses films ont profondément marqué les mutations du cinéma français entre 1930 et 1950, avant d’ouvrir la voie à la Nouvelle Vague. (Wikipédia). Jean Renoir est le fils du peintre Auguste Renoir.
[9] L’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), créée en France en mars 1932, est une section de l’Union internationale des écrivains révolutionnaires (UIER), fondée à Moscou en novembre 1927. À sa tête furent placés Paul Vaillant-Couturier, Léon Moussinac, Charles Vildrac et Francis Jourdain. Wikipédia.
[10] Paolo Uccello, né en 1397 à Florence et mort en 1475 dans la même ville, est un peintre florentin de la première Renaissance. Une de ses œuvres les plus originales, La Bataille de San Romano (1455), musée du Louvre, Paris. Cette peinture se remarque par la composition géométrique des lances des guerriers qui forment un faisceau dense de lignes obliques et verticales. [JOA. Ce tableau fait également partie de ma « galerie personnelle », notamment par sa dimension géométrique.] Voir une reproduction de ce tableau ==> ICI
[11] Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc est un livre écrit dans les dernières années de sa vie par Eugen Herrigel (1884 – 1955), professeur de philosophie allemand néokantien qui s’intéressa à la philosophie de la logique, ainsi qu’au mysticisme, c’est-à-dire – selon Herrigel – à l’atteinte de « l’état de détachement véritable ». Le contenu de ce livre a exercé une grande influence sur la vogue du zen en Occident et a répandu l’idée que le tir à l’arc japonais était en rapport étroit avec le zen. Wikipédia.
[12] Le Kuomintang, ou Guomindang, (sigles : KMT ou GMD ; chinois traditionnel : 中國國民黨 ; litt. « Parti nationaliste chinois ») est le plus ancien parti politique de la Chine contemporaine. Il est présent à Taïwan. Créé en 1912 par Sun Yat-sen, il domine le gouvernement central de la république de Chine à partir de 1928 jusqu’à la prise de pouvoir par les communistes en 1949. Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[13] On peut avoir très facilement une vue numérique de ces photos en faisant une recherche sur internet.
[14] Voir la magnifique biographie de Magellan faite par Stephan Zweig ==> ICI
Il est vrai que Stephan Zweig ne pouvait rencontrer Magellan.
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