« Vivre pour la raconter » de Gabriel Garcia MARQUEZ. « La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient ». C’est par cette phrase que commence le long texte de l’histoire autobiographique de l’émergence de Gabriel Garcia Marquez comme écrivain. Ces mémoires d’enfance et de jeunesse sont marquées par sa passion pour la poésie, la littérature, et finalement, l’écriture. Pour l’amitié, pour la fête également. Sa certitude -inquiète- de devenir écrivain qu’il finit par imposer à sa mère. Et surtout à son père.
Une histoire où se mêlent souvenirs, phantasmes, croyances
Comment démêler l’origine des remémorations de l’enfance ? Gabriel Garcia Marquez vit ses premières années dans une famille haute en couleur. Avec un père et une mère qui ont réalisé l’exploit de se marier contre l’avis des parents de Luisa Santiaga, la mère de la maman.
Ces parents s’opposaient à ce mariage parce que c’était déchoir que de donner sa fille à un simple employé des télégraphes. C’était sans compter sur l’amour qui dès leur rencontre, a lié les deux jeunes. Et cet amour leur inspirera les moyens, par la ruse, de bousculer tous les obstacles mis par les parents de la jeune femme pour l’isoler des assauts de son prétendant. Gabriel Garcia Marquez raconte le récit familial de l’héroïque union de ses parents. Mais cette union menée envers et contre tout va colorer toute la vie familiale. Gabriel, « Gabo », est l’ainé. Dix autres enfants suivront.
Dans « Vivre pour la raconter » Gabriel Garcia Marquez efface presque totalement la différence entre la vie et la littérature
Sa littérature. Sa façon d’écrire qui emprunte à sa vie aux multiples rebondissements. Avec dix frères et sœurs, la vie familiale est chaque jour pleine de surprises. Le père s’absente souvent, happé par des rêves de fortune qui ne se réalisent jamais. Suspendus aux espoirs de voir leur fils ainé, Gabriel Garcia réussir et ramener argent et gloire. Et la mère montre d’infinies astuces pour nourrir la nichée qui s’agrandit à chaque retour du père au foyer.
A la charnière entre Amérique du Sud et Amérique Centrale, sur la Mer des Caraïbes
La jeunesse de l’auteur se déroule en Colombie. A la racine de l’étroit cordon qui forme l’Amérique Centrale. Où s’enchainent, en allant vers le Nord, Panama, Costa Rica, Nicaragua, Honduras, Guatemala. Avant de déboucher sur l’immense Mexique. Un pays à double façade maritime. L’une sur l’Océan Pacifique. L’autre sur la Mer des Caraïbes.
C’est dans cette région tournée vers les Caraïbes que le petit Gabo passe ses premières années. Dans la petite ville d’Aracataca où il est né, pas très éloignée de la frontière avec le Venezuela. Puis à Barranquilla, ville côtière sur la Mer des Caraïbes. Une ville où les alizés marins parviennent difficilement à apaiser la chaleur étouffante qui écrase ses habitants.
La violence !
Le récit autobiographique de Marquez nous dépeint une région du monde où les règles de la vie en commun ne sont pas clairement posées. Des sociétés aux habitants de multiples origines, construites sur le refoulement des Indiens indigènes. Là où le mot « Indios » (« Indien ») est une insulte !
Des sociétés où la violence la plus extrême peut surgir, à chaque coin de rue. Où les passions sont aussi violentes que les traditions. Passions et traditions participent puissamment à la violence familiale, sociale, politique. Ainsi, la Justice comme institution d’Etat est bien éloignée, quand il s’agit de son honneur. On préfère régler ses comptes directement, révolver au point. Oui, la plupart des hommes portent sur eux un révolver. A défaut, on en cache un sous son oreiller. Au cas où !
Guerres civiles…
Les souvenirs des guerres civiles sont encore vifs dans les mémoires des familles. Et la guerre peut reprendre d’un moment à l’autre. Entre Conservateurs et Libéraux [1]. Ou contre l’ennemi héréditaire, le Pérou voisin.
… et violence sociale
La répression de l’armée contre les soulèvements sociaux est terrible. On tire sur les ouvriers qui se sont rassemblés pour protester contre les conditions inhumaines de l’exploitation. Notamment dans les bananeraies où règne en maitre une compagnie américaine.
Ses premiers émois érotiques, ses premières passions littéraires
L’élève Marquez est peu assidu, peu docile, peu apprenant. Il aime par-dessus tout la littérature. Et faire l’amour avec de jeunes femmes dans toutes les situations possibles. Et aussi l’amitié. Sur tous ces terrains, il réussit pleinement. Ses conquêtes sont légion. Y compris avec la femme d’un officier qui surprend les amants dans le lit marital. « Une affaire qui se règle entre hommes », dira l’homme de guerre. Un révolver à la main et une bouteille d’alcool de l’autre. C’est celle-ci qui apaisera la tension entre l’homme et l’adolescent imprudent.
Les cafés littéraires
Marquez « monte » à la capitale Bogota. Un verbe qui n’est pas que métaphore. La ville est à plus de 2600 mètres d’altitude. Pour lui, Bogota est la ville des écrivains et des poètes. Tout le reste n’existe pas. De cafés littéraires en projets de journaux, le jeune Garcia Marquez rencontre écrivains et poètes, dans une ambiance survoltée. La faim et le manque de moyens le poursuit en permanence. Mais cela ne compte pas. Il commence à publier de courtes nouvelles dans les journaux. Il est reconnu… mais jamais rémunéré. Fier et sans le sous.
Totalement immergé dans l’écriture, il ne voit pas la situation politique se dégrader
La violence sociale et politique se réveille avec l’assassinat, en 1948, du leader progressiste, Jorge Eliécer Gaitán. Celui-ci avait réussi, un moment, à démasquer la fausse opposition entre Conservateurs et Libéraux. En rétablissant une opposition sur une base sociale. Marquez a été témoin de cet assassinat.
La mort de Gaitán déclenche une fureur populaire. Le centre de la capitale, Bogota, est dévasté. Le pouvoir conservateur appelle l’armée. La révolte est écrasée dans une terrible répression. La guerre civile va durer 10 ans. « Au cours des années suivantes, la répression fit plus d’un million de morts, condamna le pays à la misère et beaucoup de ses habitants à l’exil. » (p 353) La violence, encore une fois, marque la société colombienne [2].
Marquez va quitter Bogota dévastée. Il s’inscrit à la Faculté de Droit de Carthagène en bordure de la Mer des Caraïbes
C’est un faux étudiant. Mais un vrai journaliste en herbe qui hante les nuits de la ville portuaire. Une ville historique qui deviendra, plus tard, un lieu haut lieu touristique. Mais dans les années 50, la répression plombe la vie. Les journaux ont un censeur attitré. Marquez fait l’expérience du journalisme sous contrainte. Mais son talent de jeune prodige de l’écriture le protège dans le milieu du journalisme local.
Dans les dernières pages, l’autobiographie cours sur l’apprentissage du journalisme, les amitiés, les amours
Mais aussi la musique, l’alcool, les rires, les nuits sans fin… Dans la fumée des bars plus ou moins louches, les questionnements sur les relations entre littérature et journalisme. Et les rêves de conquête du monde par la poésie.
A la fin de l’ouvrage, Gabriel Garcia Marquez quitte la Colombie. Il est envoyé à Paris pour suivre une conférence internationale. Il est devenu professionnel, (presque) toujours sans le sou. Mais il garde son amour pour l’écriture. On sait ce qu’il adviendra !
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Gabriel García Márquez, né en 1927 à Aracataca (Colombie), mort en 2014 à Mexico, est un écrivain colombien. Romancier, nouvelliste, journaliste et militant politique. Il reçoit en 1982 le prix Nobel de littérature. Affectueusement surnommé « Gabo » en Amérique du Sud, il est l’un des auteurs les plus populaires du XX° siècle. Son œuvre se démarque par un imaginaire fertile. Elle forme une chronique à la fois réaliste, épique et allégorique de l’Amérique latine. Il est comparé dans la presse à François Rabelais pour sa prose truculente ainsi qu’à Miguel de Cervantes et Victor Hugo pour sa dimension monumentale. Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI
[1] A ce propos, voir « Conservateurs et Libéraux dans 100 ans de solitude » ==> ICI