Le racisme dans un coin de France – Août 2020, île d’Yeu, des individus souillent la stèle honorant la mémoire de 198 « tirailleurs sénégalais ». Des hommes morts dans le torpillage du navire qui les transportait depuis Dakar en 1917, alors qu’ils rejoignaient le front français pendant la « Grande Guerre ».

 

La question coloniale, jamais réglée dans l’imaginaire dominant en France, refait surface

 

Le mouvement de déboulonnage des statues des « héros » de la colonisation et les réactions qu’il a suscité révèlent le silence de l’enseignement en France sur les faits et méfaits du colonialisme. Silence sur les résistances des sociétés du Sud aux conquêtes coloniales. Silence sur les effets destructeurs, sur les sociétés colonisées, de l’emprise coloniale. Également, silence sur les bénéfices matériels et symboliques tirés de cette entreprise de domination par les Etats et les entreprises du Nord. Et, plus largement, par la population. Silence sur les mouvements anti-coloniaux qui se sont dressés au Nord.

 

Aujourd’hui, les crispations identitaires issues du déclassement des classes populaires par la mondialisation libérale se fixent sur ces faits et méfaits. Par-delà ces silences. Comme aux USA avec l’esclavage, le fait colonial divise plus que jamais les sociétés des pays coloniaux. Et tout spécialement la France et l’Angleterre.

 

Eté 2020, Ile d’Yeu

 

Une stèle surmontée de la statue d’une tête d’homme rappelle au passant la mémoire des naufragés qui ont péri en mer le 8 juin 1917. Naufragés d’un bateau français qu’un sous-marin allemand va couler au large de l’île. Parmi les 207 victimes, on compte 198 « tirailleurs sénégalais ». En fait, des Maliens d’aujourd’hui, envoyés en renfort des troupes françaises dans la Guerre mondiale. La première des Guerres Mondiales qui se déchaîne alors.

 

le lieu de naufrage du Séquana, Ile d'Yeu
Le lieu du naufrage du Séquana

 

Le navire transport de troupe s’appelait Séquana

 

Il faisait route depuis Dakar vers la France avec 400 « tirailleurs » et d’autres passagers. Mais aussi avec 2000 tonnes de blé et autres denrées. Ainsi, l’Afrique colonisée nourrissait en hommes et en aliments la machine de Guerre de la puissance coloniale !

 

la notice expliquant le naufrage du Séquana
Près de la stèle, une notice expliquant le naufrage du Séquana

 

L’obsession raciale dans la souillure !

 

La tête qui figure un homme d’Afrique Noire a été aspergée de peinture blanche par des mains anonymes. Des traces de peinture sont encore visibles sur la statue. L’obsession raciale est là, évidente ! La statue souillée est rapidement remise en propreté par la Municipalité.

 

Texte de la stèle érigée pour le centenaire du naufrage : « 1917-2017. A la mémoire des 198 tirailleurs sénégalais, des 3 passagers et des 6 membres d’équipage, victime du naufrage du Séquana, torpillé par un sous-marin allemand le 8 juin 1917. Que leur mort, survenue si loin de leur pays, ne soit pas oubliée. »

 

La stèle honorant la mémoire des 198 "tirailleurs sénégalais" morts dans le naufrage du Séquana en juin 1917
La stèle honorant la mémoire des 198 « tirailleurs sénégalais » et d’autres personnes, morts dans le naufrage du Séquana en juin 1917

 

La haine de l’autre, remède contre l’angoisse du déclassement

 

Même minoritaire dans son passage à l’acte, cette action renvoie à des mouvements qui « travaillent » en profondeur la société française. Mouvements fondés essentiellement sur la haine de l’Autre. Une haine qui témoigne d’une sourde angoisse partagée par de larges parties de la population qui ne peuvent plus bénéficier des miettes que la domination coloniale du pays sur les colonies de « l’Empire français » leur assurait. Miettes matérielles. Le fait colonial a transféré dans les métropoles du Nord des ressources matérielles et humaines qui ont, certes inégalement, été bénéfiques pour l’ensemble de la société. Au-delà de ces miettes matérielles et humaines, il y avait surtout des miettes symboliques. L’assurance d’un sentiment de supériorité de chacun au Nord sur chaque personne du Sud.

 

Il n’y a plus de miettes à distribuer !

 

La mondialisation libérale est passée par là. Des puissances ont émergé au Sud. Qui ont les moyens de revendiquer une part croissante du gâteau de la richesse mondiale. Et qui jouent, dans d’autres régions du Sud, le rôle que l’Occident jouait dans son monopole de domination. Ces nouvelles puissances détournent à leur profit des richesses dont l’Occident estimait avoir le monopole pour toujours.

 

Cette période est terminée. Et ce sont les classes populaires et moyennes des pays anciennement coloniaux qui font les frais de la fin de cette domination du Nord sur le Sud. Et ce sont elles qui sont désormais soumises aux prédations coloniales antérieures. La « Tropicalisation du monde » est en marche, comme l’analyse Xavier Ricard Lanata [1].

 

Divorce entre rêves de domination et réalité du monde d’aujourd’hui

 

Mais l’imaginaire social en France, entretenu par les politiciens, continue de poser le pays dans son statut antérieur de domination sur de larges parties du monde. C’est ce divorce entre imaginaire de domination et réalité du monde multipolaire qui créé une angoisse existentielle dans de larges secteurs des sociétés du Nord. Attisée par la droite et l’extrême droite, cette angoisse se transforme en haine anti-immigrée, anti-musulmane, anti-noire. Ce triste jeu divise les sociétés du Nord au profit des puissants. Tout particulièrement en France, en Angleterre, aux USA, pays qui ont prétendu à la domination du monde.

 

Beyrouth août 2020 : une illustration de ce divorce

 

La France n’est plus le pôle de Lumières éclairant le monde. Le Président français à Beyrouth, après l’explosion du 4 aout dans le port, ne craint pas le ridicule de la contradiction. « Pas d’ingérence, mais des exigences » déclare-t-il en arrivant au Liban. Exigences ? Celles de la « communauté internationale », et les milliards de dollars qu’elle serait prête à mobiliser, selon lui. Ainsi, il fonde la légitimité de son ingérence/exigence sur des milliards de dollars qu’il n’a pas. Espère-t-il que les pays du Golfe vont financer ses rodomontades ?

 

Le Président français s’adresse exclusivement aux dirigeants politiques libanais. Ceux-là même qui sont responsables de la descente aux enfers du pays. Faisant cela, il efface les exigences des dizaines de milliers de libanais qui manifestent depuis octobre 2019 contre la corruption et l’incurie du système politique.

 

Le monde a changé, et ce ne sont pas les souillures de quelques égarés qui arrêteront la marche de l’histoire.

 


Voir sur le sujet « Burnous blancs » ==> ICI

Sur le naufrage du Séquana, voir ==> ICI

 


[1] La Tropicalisation du Monde – Topologie d’un retournement planétaire. Xavier Ricard Lanata, Editions PUF, 2019.

Voir sur « La tropicalisation du monde » ==> ICI