La France et la mondialisation libérale 

La France est tout particulièrement inadaptée à la mondialisation libérale. 

Les sociétés occidentales sentent confusément que les nouveaux acteurs qui ont émergé sur la scène internationale désormais globalisée sont en train de réduire leur part relative du gâteau mondial. Un gâteau qu’elles s’étaient approprié depuis 3 à 4 siècles d’une façon exclusive. Non sans conflits internes et notamment deux guerres mondiales au XX° siècle. Les élites occidentales sont en train de perdre leur monopole du pouvoir, de la création de richesse. Et surtout, celui d’avoir la prérogative exclusive dans la fixation des règles, des normes, des modes, des styles de vie. Ce monopole est désormais menacé.

Parmi les pays occidentaux, la France occupe une position particulière

Un rôle qu’elle s’est donné au fil de l’histoire. Celui « d’éclairer le monde », de « montrer le chemin » [1]. La glorieuse Révolution française, la Déclaration des Droits de l’Homme. L’extension napoléonienne du Droit civil à l’Europe. Puis à l’Amérique Latine et à bien d’autres pays. Et des idées révolutionnaires dans l’Europe entière, en Amérique latine qui ont brandi l’étendard de la Révolution française pour se libérer du joug colonial espagnol. Enfin, la colonisation française à la fin du XIX° siècle. Tous ces facteurs ont donné corps à cette vocation. La France est la ‘patrie des droits de l’homme’ et le monde entier attend ses Lumières.

Or ce grand rêve s’est effrité

D’abord par la tenue d’un double langage et les contradictions entre déclarations à vocation universelle et pratiques coloniales et post-coloniales. Entre égalité des droits pour tous et construction d’un rapport à l’Autre du Sud fait sur la domination. Les contorsions juridiques sur le statut des algériens pendant la période coloniale constituent le point d’orgue de ce double langage. Il avait été créé un statut de… « chrétien musulman » ! ! ! Oui, vous avez bien lu !

Ensuite parce que de nouvelles puissances émergent, qui regardent ailleurs. Qui remettent à jour leur propre histoire en même temps que leur place dans le monde.

France et mondialisation libérale Pont d'Avignon

Mais ce grand rêve s’est effrité aussi pour une autre raison

Parce qu’une des caractéristiques de la société française tient à la place centrale que l’Etat y joue depuis sa constitution par addition des territoires à son centre, l’Ile de France. Par consolidation du pouvoir central face aux féodalités périphériques. Napoléon et les institutions qu’il a créées ont porté au sommet cette construction verticale de la société autour de l’Etat. Les organisations qui se sont créées en Europe dans l’élan des révolutions industrielles (partis politiques, syndicats, associations, organes de presse, clubs sportifs…) ont adopté cette organisation verticale. Et tout particulièrement en France.

Les partis de gauche et les syndicats ont largement porté cette culture hiérarchique, et l’ont figé jusqu’à aujourd’hui. Certes, des tendances libertaires, d’auto-organisation, ont existé, dans l’Espagne républicaine des années 30. Et plus près de nous, après 1968. Elles connaissent un renouveau aujourd’hui, fait d’innovations sociales au niveau local. Mais ces expériences restent encore confinées dans des cercles restreints. Sans offrir de nouvelles perspectives à l’échelle de la société.

La verticalité en recul

Or cette verticalité, qui a fortement dynamisé la reconstruction de la France au temps des Trente Glorieuses vient en contradiction avec des phénomènes puissants à l’œuvre. Comme l’extension sans précédent de l’éducation qui multiplie les acteurs à tous les niveaux de la société et du territoire. Accroissant les capacités, les ambitions, les désirs d’agir à sa propre échelle. Les prises d’autonomie dans un mouvement irréversible d’individualisation des sociétés.

Les NTCI amplifient ce mouvement, et viennent puissamment battre en brèche ce modèle vertical. En multipliant les possibilités de relations non-hiérarchisées, horizontales. En créant des proximités virtuelles entre les individus, des ‘communautés’ (de savoir, de plaisir, de pratiques, d’origine, de religion…); Des ‘communautés’ qui contournent les organisations traditionnelles qui structurent verticalement la société. La mondialisation achève de réduire l’emprise des structures verticales dans toutes les sociétés.

Comment faire fonctionner la démocratie avec l’émergence de l’individu et de ses pulsions centrifuges ?

Telle est la question centrale que pose Marcel Gaucher depuis plus de 40 ans .[2]  Comment faire fonctionner la démocratie avec l’éclosion de ces multiples communautés ? Comment obtenir que le « faire communauté » ne vienne pas pulvériser le « faire société » ?

Le modèle anglo-saxon plus souples, plus empirique, mieux adapté à la mondialisation

Ce modèle français, vertical, apparaît ainsi à rebours des évolutions actuelles de la société française et du monde. Tandis que le modèle anglo-saxon qui laisse depuis la constitution de la société anglaise une place aux acteurs face à l’Etat. Qui fonctionne sur un mode plutôt horizontal, se trouve plus en phase avec ces nouvelles tendances des sociétés telles que façonnées par la mondialisation libérale.

Le malaise de la société française et tout spécialement de la pensée de ‘gauche’ qui s’est construite dans ce moule vertical vient aussi de cette incapacité à saisir les tendances lourdes de la société. Les élites françaises adoptent sans en comprendre l’ancrage culturel, bien des « recettes » du modèle anglo-saxon. Notamment une hypertrophie des règles formelles, l’acceptation des inégalités… Ces élites françaises mondialisées le font dans une courte vue privilégiant leurs intérêts propres. Sans égards pour l’ensemble de la société et son histoire longue.

Les crispations identitaire, perceptibles du Brésil aux USA, de la France à l’Inde, d’Israël à la Hongrie… pourraient perturber la marche vers cette horizontalité grandissante.

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[1] Intervention du Président François Hollande le 16 novembre 2015 devant le Parlement à Versailles, après les tueries du 13 novembre à Paris.

[2] « La démocratie contre elle-même » Marcel Gauchet – Poche (2002)

Comment la Grande Bretagne a dominé les institutions et la politique européenne, Voir ==> ICI

Sur les Lumières au XVIII° siècle, Voir ==> ICI