Conservateurs et Libéraux dans « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez

Dans le pays d’Amérique latine où Garcia Marquez a situé le village (imaginaire) de Macondo, on assiste à la lutte entre deux factions politiques, Conservateurs et Libéraux. Les Conservateurs protègent la propriété privée, l’ordre, la religion catholique et les valeurs traditionnelles. Tandis que les Libéraux promeuvent la liberté des mœurs et un certain égalitarisme.

 

Ce que sont les Libéraux pour un Conservateur

 

p 106 éd. du Seuil. « (…) Un jour, à la veille des élections, don Apolinar Moscote, au retour d’un de ses fréquents voyages, se montra préoccupé par la situation politique du pays. Les libéraux étaient décidés à se lancer dans la guerre. Comme Aureliano, à cette époque, avait des notions très confuses des différences entre conservateurs et libéraux, son beau-père les lui simplifia en quelques leçons. Les libéraux, lui expliquait-il, étaient francs-maçons. Gens aux mauvais instincts, partisans de pendre les curés, d’instaurer le mariage civil et le divorce. De reconnaître les mêmes droits aux enfants naturels et aux légitimes, de faire éclater le pays par un système fédéral qui dépouillerait le pouvoir central de ses prérogatives.

 

Au contraire, les conservateurs, qui tenaient le pouvoir directement de Dieu lui-même, veillaient sur la stabilité de l’ordre public et la morale familiale. C’étaient les défenseurs de la foi du Christ, du principe d’autorité. Et ils n’étaient pas disposés à permettre que le pays fut écartelé en collectivités autonomes. »

 

Jeux de pouvoir dans Cent ans de solitude : une fois aux commandes, les Libéraux adoptent les mêmes comportements que les Conservateurs

 

Mais quand les Libéraux prennent le pouvoir aux Conservateurs au terme d’une guerre civile jonchée de cadavres, ils se comportent finalement comme eux. Prédation des ressources publiques, octroi de privilèges, terreur et répression féroce contre tout ce qui s’oppose à ces pratiques. La rhétorique des débats entre Conservateurs et Libéraux n’est finalement qu’un jeu de scène. Une série de postures pour capter des soutiens dans la population en vue de la prise du pouvoir. Un pouvoir qui assure l’accès aux ressources et au prestige. C’est un jeu auquel les protagonistes croient « dur comme fer ». Au point de se battre jusqu’à la mort pour faire triompher leur cause.

 

On change les acteurs, mais on reste dans la même pièce

 

Les acteurs de ces guerres aussi absurdes que meurtrières, ne sont pas dupes, dans le livre. Ils savent, au terme de leur longue vie de combat et des multiples arrangements politiciens auxquels ils se sont livrés, qu’ils n’ont lutté que pour le pouvoir. En aucun cas pour les idées affichées dans les programmes.

 

Le conflit, véritable but du jeu

 

Pour le pouvoir ? Ou bien pour le plaisir de l’affrontement ? Plaisir et dégoût à la fois de ces affrontements toujours recommencés. Affrontements sans fin entre Libéraux et Conservateurs. Mais aussi au sein de chacune des formations. Dans des renversements permanents d’alliances, qui, finalement, fait de la guerre elle-même le véritable but du jeu.

 

Un ordre social à accès limité

 

Ainsi, le roman fameux de Garcia Marquez énonce qu’il n’y a pas de réelle alternative au mode de fonctionnement de la société. Une société où pouvoir et richesse confondues sont capturées par un cercle fermé d’élites. Le jeu social reste identique, ce sont les acteurs qui peuvent changer [1]. Acquérir pouvoir, richesse, prestige ne peut ainsi s’effectuer que de deux façons. Soit en accédant individuellement au cercle fermé des élites qui ont ces attributs. Principalement par héritage, mais aussi, à la marge, par la ruse, par le mariage, par chance…. Ce qui est très difficile. Soit en participant à la prise du pouvoir avec une autre fraction de l’élite qui renverse l’élite antérieure. Ce qui est aussi très difficile et risqué.

Sur « l’ordre social à accès limité », voir « Violence et Ordres sociaux » de North, Wallis et Weingast ==> ICI

 

En aucune façon l’accès à la richesse ou au pouvoir ne peut se concevoir par une activité de production, de création. Ou par des élections libres et transparentes.

 

Dans la « vraie vie » des démocraties,

 

les équivalents des « conservateurs » et des « libéraux » alternent aux commandes du pouvoir. Ils le font par des modes de dévolution résultant d’élections non truquées formellement. Mais, finalement, les politiques menées ne sont pas différentes substantiellement. Et de moins en moins différentes depuis le début des années 80. Car la mondialisation libérale a réduit à leur plus simple expression les marges des politiques publiques sur les espaces où les choix politiques prennent sens. C’est-à-dire au niveau national. L’ouverture des marchés est passée par là, qui contraint les politiciens. Avec leur consentement.

 

La différence entre les démocraties et les autres sociétés tient finalement dans le coté formel des institutions. Dans les démocraties, les règles formelles du pouvoir sont posées et globalement respectées. Tandis que dans les autres sociétés, les règles formelles ne le sont pas. La question de la formalisation et du respect des règles apparaît ainsi dans son aspect fondamental (Mushtaq Khan). Le respect formel vaut légitimation. A charge pour le pouvoir de fabriquer l’imaginaire social qui soutient cette légitimation (Castoriadis).

 

Un roman sombre, qui laisse peu de place à l’espoir. La violence des rapports sociaux en Amérique Latine (et ailleurs) s’illustre chaque jour.

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[1] Cornelius Castoriadis : « l’institution imaginaire de la société » p 235 : « Ce que [les opprimés qui luttent contre la division de la société en classes] visent est souvent une permutation des rôles dans le même scénario ».

Pour en savoir plus sur Gabriel Garcia Marquez ==> ICI

Voir aussi « Beaux seins, Belles fesses », « Cent ans de solitude »… et l’académisme ==> ICI

 


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