Emergence inouïe de l’individu au Sud

Accélération généralisée

 

Les années 60-70 ont connu un phénomène d’accélération d’un nombre important de facteurs qui ont bouleversé la planète. On peut identifier ces années comme celles de la « grande accélération ». Notamment dans la dégradation des conditions environnementales sous ses multiples dimensions, mais aussi dans l’urbanisation….

 

Une rupture anthropologique majeure

 

Mais il est une autre « grande accélération » dont on parle peu. L’extension sans précédent de l’éducation. Notamment dans le supérieur. Et principalement dans les pays du Sud. Malgré des défaillances qualitatives dans nombre de ces pays. Cette poussée quantitative de l’éducation s’est combinée à l’urbanisation des sociétés du Sud. Mais aussi à la circulation à l’infini de l’information entre tous les points de la planète permise par les moyens numériques.

Ces trois tendances lourdes multiplient ainsi les voix (voices) à des échelles inégalées jusqu’alors. L’attention se polarise sur l’accroissement de la population mondiale. Mais c’est passer à coté de cette croissance exponentielle des voix. Celle-ci résulte de la croissance de la population multipliée par la croissance des effectifs disposant d’un niveau d’éducation supérieur. Elle fait opérer aux sociétés du Sud un saut qualitatif aux conséquences gigantesques.

 

Cette émergence inouïe de l’individu au Sud constitue une rupture aux conséquences encore sous estimées

 

De immenses espaces s’ouvrent à l’échelle planétaire pour la création, l’innovation, la contestation, la solidarité, l’échange d’idées et des savoirs. Mais aussi pour l’embrigadement, la manipulation, le déferlement de haine, du rejet de l’autre… Comme pour tous les nouveaux champs de liberté, le meilleur, le médiocre et le pire se côtoient.

 

Multiplication des publications, des rencontres en tous genres

 

Cette multiplication des voix produit une multiplication exponentielle des publications dans tous les genres (anecdotiques, littéraires, scientifiques). Mais aussi un accroissement sans précédents des organisations de la société civile. Ainsi qu’une frénésie de réunions sur tous les sujets. Des réunions regroupant professionnels, sportifs, artistes, syndicalistes, membres des ONG. En des événements de toutes sortes qui ont fait, jusqu’à la pandémie du Covid 19 circuler les personnes largement au delà des élites. Pour la frange la plus formée, cette multiplication des voix se traduit par une recrudescence de séminaires, congrès, réunions, symposiums, colloques, conférences…

 

De fait, cette inflation des voix consacre l’émerge de l’individu

 

Une émergence qui survient surtout dans les sociétés du Sud. Tandis qu’au Nord, s’approfondit et se radicalise l’individuation. Au Sud comme au Nord, cette émergence a des conséquences incalculables pour les équilibres et déséquilibres des sociétés. Elle invalide les modes traditionnels de la transmission. Créée des difficultés intergénérationnelles. Tend à modifier profondément le tissage des liens sociaux. Des communautés (souvent virtuelles) apparaissent.

 

« Faire communauté » ne veut pas dire « faire société »

 

Comment faire vivre la démocratie avec la radicalisation de l’individu? Celui-ci demande de plus en plus de droits. Mais sans les contreparties en termes de responsabilités individuelles et collectives. [1] 

 

Ce mouvement d’individuation trouve une réponse partielle dans les politiques de décentralisation des pouvoirs au niveau des territoires. Dans l’augmentation du poids des espaces locaux dans les sociétés. Les pays qui s’arc-boutent sur des modes de gouvernance centralisés doivent s’attendre à de graves turbulences politiques. Tandis que les organisations intermédiaires, inventées en Europe à la fin du XIX° siècle (partis politiques, syndicats..) sont épuisées, ici et là-bas !

 

Les jeunesses à la conquête de nouveaux espaces

 

Ce sont surtout les jeunes qui s’emparent de ces nouveaux espaces. Ce sont eux en effet qui ont bousculé des pouvoirs autoritaires en Tunisie en 2010, puis en Egypte et dans d’autres pays arabes… Mais aussi en Turquie. Et, plus récemment, en Algérie, au Liban, en Iraq. Mais ce sont d’autres acteurs qui ont tiré les marrons du feu de ces mouvements populaires. Et la frustration des jeunes des pays arabes demeure intacte.

 

Au Sud du Sahara, ce sont aussi des jeunes qui font bouger les sociétés africaines : au Burkina Faso, en République démocratique du Congo, au Sénégal, en Côte d’Ivoire… Sont apparu « Le ballet citoyen », le mouvement « Yen a marre! ».

 

Et cette multiplication des voix est aussi multiplication des acteurs, qui ajoute à la complexité du monde !

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[1] Marcel Gauchet : « La démocratie contre elle-même ». Voir  la note de lecture ==> ICI 

 


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