Nous ne sommes plus seuls au monde Bertrand BADIE

Avec comme sous-titre : « Un autre regard sur l’ordre international »

Bertrand Badie nous livre là une leçon magistrale sur le bouleversement du monde qui s’opère sous nos yeux. Un immense basculement des puissances. Un basculement qui voit l’émergence au Sud de sociétés et de pays qui jusque là subissait la domination sans partage d’un petit club de pays dominants, les pays du Nord.

 Faire « comme si » rien n’avait changé ?

Désormais, les pays du Nord ont le choix entre tenter de faire « comme si » rien n’avait changé. Ils peuvent essayer d’appliquer les anciennes recettes pour mener leurs politiques extérieures. C’est l’échec garanti. On trouvera ci-dessous quelques unes de ces « erreurs » commises ces dernières années.

 Ou bien essayer de comprendre le monde tel qu’il se modifie

Afin de trouver une place qui ne serai plus en surplomb sur les autres sociétés du monde. Une place où les pays du Nord seraient parties prenantes d’un ensemble pluriel, multiple. Ouvert sur les autres sociétés dans leur diversité. Nous avons besoin de réfléchir sur le monde tel qu’il se modifie à très grande vitesse.

 Un livre savant et simple à la fois, pour nous donner à comprendre ce monde

Bertrand Badie nous propose une telle réflexion. Comme seul un « vieux sage » affranchi des contraintes de l’écriture académique, peut nous la livrer. Avec recul, faisant la synthèse de toute une vie d’observations et d’analyses du monde et des relations internationales. Un livre à la fois savant et simple.

Qui va à l’essentiel pour décrypter les profondes modifications qui affectent notre monde. Des bouleversements qui nécessitent d’élaborer de nouvelles clés de lecture. Des clés qui prennent en compte la croissance exponentielle au Sud des acteurs capables de s’exprimer, prendre des décisions…

Une émergence irrépressible

Pour, finalement, revendiquer leur place à la table où s’écrivent les règles qui régissent le monde. Table que les pays du Nord étaient seuls à occuper jusque là. Et Bertrand Badie montre que cette émergence est irrépressible. Chercher à s’y opposer met les pays du Nord dans une posture d’erreurs et d’échecs, qui peuvent leur être fatales.

 Une succession d’erreurs qui se payent encore aujourd’hui

  •  On a tant raillé l’erreur de Saddam Hussein quand il a attaqué le Koweït en 1990. Ne s’étant pas rendu compte que l’URSS, son puissant protecteur, s’étant effondré. Il s’est retrouvé seul face à la coalition que les USA avaient réussi à constitué. Il a subi une première défaite cuisante en 1991.
  •  Mais que dire de l’erreur de G.W. Bush et des néo-conservateurs lors de la guerre du Golfe déclenchée en 2003 contre le même Saddam Hussein. Une guerre débouchant sur la prise de pouvoir en Iraq par les chiites irakiens et leurs alliés iraniens. Ennemis de l’Arabie saoudite principale alliée des USA dans la région ? Je ne parle pas ici des mensonges diplomatiques sur lesquels cette guerre a été bâtie. A noter que la France de cette époque s’est fort justement abstenue d’y participer.
  •  Autre erreur majeure, des européens cette fois. Celle d’avoir endossé la politique de revanche des dirigeants américains vis-à-vis de la Russie après l’effondrement de l’URSS. Sans comprendre que la proximité géographique de la Russie imposait à l’Europe une autre approche. Cela ne signifiait en rien de fermer ses yeux sur la brutalité de la politique russe. Par exemple la féroce réduction de la rébellion tchétchène. A tout le moins, les Européens aurait dû avoir comme objectif de ne pas chercher à humilier ce pays. Comme ils l’ont fait en suivant aveuglément la position agressive des USA contre ce qui avait constitué une « grande puissance » depuis l’après Guerre mondiale. L’Europe n’a pas fini de payer l’erreur d’avoir participé à l’entreprise américaine de rabaissement de la Russie après 1990 Encore une erreur. Cette fois, la France est aux premières loges.
  •  
  • Encore une erreur !

  • L’intervention en Libye en 2011 pour « voler au secours des démocrates de Benghazi qui luttaient contre le tyran Khadafi ».  En s’appuyant sur une vision totalement éloignée de la réalité qui aurait opposé le « peuple aspirant à la démocratie» au « dictateur isolé ». Il a fallu plus de six mois pour venir à bout d’un pays de 6 millions d’habitants. Pour faire plier un régime défendu par une partie de la population. Un petit pays faisant face à une opposition militaire intérieure soutenue par une coalition internationale regroupant les pays les plus puissants du monde. Ainsi que des alliés régionaux de circonstance. La chute du dictateur a démultiplié les conflits internes, opposant chefs de guerre, tribus et forces islamistes en un gigantesque chaos. Tandis que les armes accumulées par Khadafi et les militants islamistes se sont répandues dans les pays du Sahel en un puissant et durable effet de déstabilisation régionale.

 Des erreurs qui se sont retournées contre leur instigateur

Dans tous ces exemples, j’entends par « erreur » des actes de politique internationale dont les effets se retournent contre leur instigateur. On notera que les politiciens qui mènent ces politiques erronées, suicidaires, néfastes pour tous, sont rarement sanctionnés. Ainsi G.W. Bush et ses amis néoconservateurs ne comparaîtront sans doute jamais devant le Tribunal Pénal International. Et ce, malgré les crimes gigantesques qu’ils ont commis en Iraq lors de la guerre de 2003 déclenchée sur la base de mensonges. De même pour Sarkozy et ses mensonges pour entrainer derrière lui une coalition de pays contre la Libye de Khadafi. Ce même Khadafi reçu comme un prince à Paris quelques années auparavant !

 Pourquoi toutes ces erreurs aux conséquences funestes ?

Parce que ce sont les outils d’analyse du monde « d’avant » qui ont été utilisés pour comprendre et agir dans le monde « d’aujourd’hui ». Outils mis grossièrement au service des intérêts des anciens maitres absolus du monde !

 « Nous ne sommes plus seuls au monde » nous aide à comprendre la monde d’aujourd’hui

Il remonte aux fondements philosophiques qui ont établi, dès le XVIII° siècle, la pensée du rapport à l’Autre dans les pays d’Europe alors en plein essor. Une pensée qui a d’emblée posé la guerre comme argument majeur des relations internationales. Alors que l’Europe faisait émerger les outils inédits de sa puissance. Institutions dépersonnalisées, valorisation de la liberté, de l’innovation, de l’individu… Ces bouleversements dans les imaginaires sociaux allaient donner à ses principaux pays les moyens d’un développement inédit de la production de richesse… et de la domination du monde.

Achille Mbembe [1] montre que le développement de la démocratie en Europe a été étroitement lié à celui de son extension sur la planète, avec l’esclavage et la colonisation.

 Sur les néo-conservateurs

 Plus près de nous, Bertrand Badie s’attarde sur le mouvement néo-conservateur. Il le définit par ses deux principales composantes :

 1/ l’idée de la supériorité de la civilisation occidentale sur toutes les autres civilisations, et

 

 2/ l’idée que l’occident représente le bien. Tandis que tous ceux qui s’opposent à lui représentent le mal. Avec les forces du mal, il ne peut avoir que l’affrontement. L’Occident ne négocie pas. La pensée néoconservatrice constitue ainsi une tentative d’effacer le basculement actuel dans les rapports de force mondiaux. Cette tentative conduit aux erreurs récentes en une vaine tentative de faire marcher l’Histoire à l’envers. Et surtout, elle conduit à la multiplication des conflits aux conséquences funestes !

La tentation néo-conservatrice en Europe

Cette matrice a nourri la pensée de bien des dirigeants européens et notamment français. Bertrand Badie s’attache ainsi à montrer le tournant néoconservateur des autorités françaises. A commencer par le président Chirac qui a procédé à une réconciliation radicale avec les USA. En 2005, c’est à dire deux ans après son refus de se laisser entraîner dans l’aventure guerrière contre l’Iraq en 2003. Les deux autres présidents, de droite et de « gauche » ont accentué ce tournant néo-conservateur, en faisant la leçon à l’Afrique. Et en habillant la mission de la France intervenant dans le monde au nom des Lumières.

Des échecs à venir

C’est peu dire que la poursuite de ce tournant néo-conservateur va produire des politiques vouées à l’échec pour ses initiateurs. Tout en répandant dans les pays du Sud mort et désolation, sources d’incompréhension et de haine contre l’Occident. Et, finalement, source de haute insécurité pour l’Europe. La lecture de l’ouvrage de Bertrand Badie est plus nécessaire que jamais.

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[1] Achile MBEMBE « Politiques de l’inimitié« , Paris, La Découverte, 2016.

 Dans « L’Asie et la domination occidentale du XV° siècle à nos jours« , K. M. PANIKKAR parle du contraste entre la Hollande du XVII° siècle où s’inventait la liberté et la démocratie, et sa politique de déportation et de mise en esclavage des chinois en Indonésie. (Le Seuil, 1957, Paris. Traduction de Asia and Western Dominance, 1953, Londres)

Sur Panikkar, voir ==> ICI

Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI

 


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