« L’Asie et la domination occidentale » de K.M. Panikkar (note de lecture) . Avant bien d’autres analystes, l’auteur évoque « la renaissance asiatique ». Nous sommes dans les années 1950. L’Asie est encore perçue, dans les capitales occidentales, comme un vaste continent formé d’une masse de population pauvre, incapable de se développer.

Prenant du recul par rapport à l’histoire récente des sociétés asiatiques, nous cherchons dans l’œuvre de K. M. Panikkar [1] des éléments pour comprendre les sources de l’élaboration endogène de leur modernité. Dès le XIX° siècle, parfois même dans les siècles précédents, des mouvements modernisateurs se sont fait jour dans les pays d’Asie. Notamment en Inde, au Japon et en Chine.

Dans chacun de ces pays, le réveil s’est effectué en réponse à la domination européenne

Les penseurs asiatiques ont cherché à comprendre pourquoi leur société, aux acquis millénaires, était dominée sur les terrains militaire, économique, philosophique par une poignée de petits pays de la lointaine Europe. Ces mouvements de ‘renaissance asiatique’ [2] ont tenté de répondre aux profondes déstructurations des sociétés entraînées par la domination européenne. Notamment en Inde et en Chine. Ils ont pris conscience que l’on ne pouvait restaurer son rang sans rénover en profondeur les structures sociales périmées : castes en Inde, féodalisme au Japon, clivage de classe en Chine…

Des réponses différentes, selon les pays

Ces mouvements de modernisation endogène ont naturellement emprunté des chemins différents. Refonte des mouvements religieux en Inde. Avec la réforme de l’Hindouisme visant à débarrasser la religion des archaïsmes locaux. Au Japon, renaissance du Shintoïsme sur fond de nationalisme exacerbé. Amorce d’une révolution démocratique plutôt laïque en Chine. Avec le mouvement ‘Chine nouvelle’ au début du XX° siècle. Avant que ce mouvement ne soit détourné par l’attrait de la révolution Russe.

La renaissance asiatique... perçue dans les années 1950 ! (K.M. Panikkar) couverture du livre

« La renaissance asiatique » de K.M. Panikkar. Qui a porté ces mouvements?

Ils ont été le fait d’intellectuels non organisés en Inde et en Chine. Tandis qu’au Japon, ce sont les autorités publiques qui ont porté un mouvement autoritaire et militariste. Cela a été, au Japon, le résultat de l’alliance entre le courant réformiste scientifique (prendre les techniques occidentales…) et les patriotes adossés à la renaissance du Shintoïsme (… mais rejeter la philosophie).

Dans les trois pays, la question de l’éducation a été au cœur du processus

Partir donc de l’éducation, en adoptant une démarche reconnaissant à la pensée occidentale ses atouts. Mais en empruntant aussi à l’Occident la pensée critique y compris par rapport à cette pensée occidentale. Afin de ne pas faire de ces apports un copiage servile.

Ce dernier point est crucial car l’emprunt de la pensée critique ouvre la voie à la liberté et à l’innovation

En Inde, l’extension de la langue anglaise dès la fin du XIX°, pourtant promue par le colonisateur pour étendre le christianisme, a en fait été le vecteur d’une modernisation religieuse de l’Hindouisme et de l’unification nationale. Tout en permettant aux langues locales de se renforcer et de favoriser une production littéraire autochtone.

Ainsi, l’assimilation de la pensée occidentale s’est effectuée, au prix de longs conflits internes, par la rénovation des fondements de la pensée locale grâce à des emprunts critiques. A noter que dans les mêmes années où Panikkar écrivait ce texte, les institutions financières internationales faisaient souffler un vent d’Asia-pessimisme [3], en prétendant que les sociétés asiatiques étaient incapables de s’industrialiser !

Et dans les pays arabes?

Amorcée au Proche Orient, les pays arabes ont connu, au cours du XIX° siècle, un mouvement similaire; La Nahda, la ‘renaissance arabe’. Un mouvement à la fois politique, culturel et religieux. Comme en Asie, le point de départ est la recherche des causes du retard sur l’Occident. Comme en Asie, elle comporte une forte dimension identitaire, tout en empruntant à la pensée européenne. Idée de nation, rationalité, démocratie.

L’ouverture de la pensée s’effectue en libérant la possibilité d’interprétation des textes religieux. A la fois retour aux sources de l’Islam et ouverture aux éléments de modernité. Comme en Asie, la question de l’éducation est au cœur du processus. Mais les conservateurs arabes vont résister à ces tentatives de modernisation. Ils vont le faire en maintenant une interprétation fermée, dogmatique, figée de l’Islam. Et en réussissant, pour le malheur des sociétés arabes, à sacraliser leur interprétation (humaine) de l’Islam.

Résistances internes, et agressions externes

Mais ce mouvement réformateur s’essoufflera face à la puissante vague coloniale qui déferlera jusqu’au milieu du XX° siècle sur la région arabe. Puis, après la seconde Guerre Mondiale, avec la montée du nationalisme arabe et son échec cuisant qui vont ouvrir la voie aux contestations radicales sur des bases religieuses.

Ecrasement de la pensée critique

Il faut reconnaître une constante parmi les forces qui ont dominé et dominent le monde arabe depuis plus d’un siècle. Colonialisme, nationalisme arabe, islamisme ont en commun leur acharnement à écraser toute pensée critique. Les mouvements populaires qui ont éclos à partir de 2011 n’ont pas réussi, jusqu’alors, à soulever cette lourde chape qui pèse sur les sociétés et la pensée arabes. Voir sur ce point « Des sociétés arabes nouées »  ==> ICI

Peu de « passeurs de modernité »

Il a manqué, il manque toujours aux sociétés arabes, des ‘passeurs de modernité’. Des hommes, des femmes capables d’entraîner les esprits dans une élaboration endogène apte à faire sortir les imaginaires sociaux de l’alternative entre une modernité de façade importée d’occident et une fermeture au monde par le retour aux mythes du passé.

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Cette note de lecture est tirée du livre « Croissance et Réformes dans les pays arabes méditerranéens » Jacques Ould Aoudia, Karthala, 2008.

[1] Panikkar K. M. L’Asie et la domination occidentale du XV° siècle à nos jours, Le Seuil, 1957, Paris. Traduction de Asia and Western Dominance, 1953, Londres.  Panikkar, historien, fut le premier ambassadeur de l’Inde indépendante en France.

[2] L’expression est formulée par Panikkar au début des années 50.

[3] Les économies émergentes d’Asie – Jean-Raphaël Chaponnière et Marc Lautier – Armand Colin, 2014.

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Voir « Croissance et Réformes dans les pays arabes méditerranéens » ==> ICI

Pour en savoir plus sur Kavalam Madhava Panikkar, romancier, journaliste, historien, administrateur et diplomate ==> ICI

Un mot sur l’histoire de ce livre, comme objet

Ce livre est épuisé. C’est ce qu’on vous répond si vous cherchez à le commander dans une bonne librairie. J’avais fait une demande à la Librairie Ulysse, sur l’Ile St Louis à Paris (==> ICI)… En pensant que jamais je ne réussirai à l’acquérir. Dix ans après, je reçois un appel de la libraire, Catherine Domain. Elle m’annonce qu’elle a trouvé le livre et ne l’achètera que si je viens en payer le prix. Je me souviens du prix : 500 francs. Une somme en 1998. Je suis passé à la librairie. J’ai payé. Et 3 semaines après, je suis retourné à Ulysse. Le livre (d’occasion) était là. Quel bonheur de pouvoir trouver une librairie comme Ulysse ! Et une libraire passionnée de livres !


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