Martin Ravallion « Are There Lessons for Africa from China’s Success against Proverty ? » – WBDRG – 2008.

Résumé de l’auteur (en anglais) puis mes remarques (en français).

Abstract : At the outset of China’s reform period, the country had a far higher poverty rate than for Africa as a whole. This paper tries to explain how China escaped from a situation in which extreme poverty persisted due to failed and unpopular policies. While acknowledging that Africa faces constraints that China did not, and that context matters, two lessons stand out. The first is the importance of productivity growth in smallholder agriculture, which will require both market-based incentives and public support. The second is the role played by strong leadership and a capable public administration at all levels of government.

Dans le prolongement de ses travaux (notamment sur les relations entre croissance, inégalités et pauvreté conduisant au résultat selon lequel plus les inégalités de départ sont faibles, plus la croissance est favorable aux pauvres), Martin Ravallion présente ici une analyse très riche sur le processus de réforme en Chine. Il insiste sur les grandes réformes agricoles en 1980-83, conduisant à une réduction très rapide de la pauvreté [1] et son articulation avec la stratégie de développement mise en œuvre sur le long terme. L’augmentation de l’offre agricole et un contrôle partiel des prix ont permis de nourrir à bas coûts les salariés des entreprises manufacturières urbaines, assurant la forte compétitivité des industries manufacturières chinoises, base du décollage économique du pays .

Convergence avec notre approche du développement

Cette analyse rencontre et illustre deux dimensions majeures de notre propre approche. Voir « La ‘bonne gouvernance’ est-elle une bonne politique de développement ? » ==> ICI.

  1. Sur la nécessité de politiques qui combinent marché et Etat,
  2. Sur le rôle décisif d’un Etat stratège. Un Etat qui mène un processus de réformes sur une base empirique, avec apprentissage à partir des échecs.

Un Etat autoritaire avec une vision stratégique

La Chine illustre le cas d’un décollage économique et social mené sous la férule d’un Etat autoritaire. Un Etat réellement convaincu de la nécessité d’accroître le pouvoir des pauvres. Pour son propre maintien au pouvoir et dans une vision à long terme. L’Etat chinois a été capable d’impulser une réallocation des terres agricoles au profit des pauvres ‘relativement équitable’ selon les termes de l’auteur.

En contrepoint, on pense aux conflits sur la terre dans la zone intermédiaire entre Afrique du Nord et Afrique sub-saharienne. Une région hautement instable -Mauritanie, Niger, Tchad, Soudan- et aux conflits sur les questions de propriété agricole en Côte d’Ivoire et au Kenya notamment.

Attribution de pouvoirs et responsabilités individuelles aux paysans pauvres

En outre, et pour réfuter la démarche de Hernando de Soto [2], on y voit que l’attribution de droits de propriété aux pauvres n’est pas le point de départ du processus de développement dans la Chine rurale. C’est par l’attribution de pouvoirs et de responsabilité individuelle que l’offre agricole a fortement progressé. Entraînant un recul très rapide de la pauvreté dans le monde rural. Et des effets globaux sur le développement des activités urbaines manufacturières. Ces réformes ont comporté la destruction du système collectiviste des terres, l’attribution dans un premier temps d’un usufruit sur ces terres, une neutralisation des résistances des pouvoirs locaux. Et une combinaison de prix administrés sous quota et de prix de marchés au-delà du quota, relayée ensuite par de gros investissements d’infrastructures dans l’agriculture.

Nous extrayons du document quelques autres points intéressants :

  • Une analyse fine des différences de départ entre la Chine et l’Afrique sub-saharienne. Faibles inégalités à l’origine en Chine, transition démographique largement entamée (politique d’un enfant par famille); rareté relative de la terre en Chine, taux d’alphabétisation élevé en Chine, l’existence d’un régime collectiviste dans l’agriculture en Chine… Et surtout une longue tradition d’Etat fort aux capacités élevées en Chine, un espace politique unifié (contre 48 Etats en Afrique sub-saharienne).
  • sur les ‘bonnes’ et ‘mauvaises’ inégalités : les ‘bonnes’ inégalités sont celles qui résultent de nouvelles opportunités (potentiellement de type Schumpetériennes – c’est moi qui ajoute ce point). Tandis que les ‘mauvaises’ inégalités sont celles qui résultent de positions rentières et consolident des réductions d’opportunités. En termes d’accès à l’éducation et à la santé notamment.
  • La croissance des inégalités en Chine (l’indice de Gini progresse de 7% par décennie) pose aujourd’hui le problème de la poursuite de la réduction de la pauvreté. Et au-delà du maintien du rythme actuel de croissance.
  • La R&D et l’évaluation des politiques ont joué un rôle majeur dans la progression de la productivité agricole. Notamment en mutualisant les expériences réussies et en permettant de tirer les leçons des échecs entre les provinces.
  • Le déclenchement de la réforme agraire a créé une situation de famine dans les populations rurales. Ce point est important car il attire l’attention sur le facteur déclenchant, au sein des élites, des leçons de l’échec d’une réforme qui bousculent les intérêts et dogmes établis. C’est notamment ce facteur qui a fait reculer l’approche idéologique sur la question des terres collectives, au profit d’une approche pragmatique, faisant de l’élévation de la production agricole le critère décisif d’avancée de la réforme.
  • L’auteur critique le fait que la priorité à l’agriculture aurait été abandonnée prématurément, faisant exploser les inégalités rural/urbain et entre provinces enclavées et provinces côtières. L’auteur cite l’expérience plus prudente, sur ce point, du Vietnam.
  • Pour l’Afrique, l’auteur se garde de prétendre transposer les démarches adoptées par la Chine. Ll’Afrique doit trouver sa propre voie, les conditions de départ étant très différentes. Mais il insiste sur le fait que l’influence de la Chine en Afrique ne passe pas seulement par la demande accrue de biens primaires et les investissements. Une volonté d’influence sur les politiques de développement est manifeste. Il recommande cependant pour l’Afrique de revenir sur la priorité à l’agriculture, comme préalable au développement.

[1] La pauvreté a reculé en Chine de 65% de la population sous le seuil de 1$ par jour en 1980 à moins de 10% en 2004. Les chiffres correspondants pour l’Afrique sub-saharienne sont respectivement de 41% et 40%. En niveau, un recul de 500 millions de pauvres en Chine contre une augmentation de 130 millions en Afrique sub-saharienne entre ces deux dates.

[2] « The Mystery of Capital » de Hernando de Soto (Lima). Soto s’est fait connaitre en soutenant que c’est en attribuant des droits de propriété aux pauvres que l’on pourra les sortir de la pauvreté. Ce faisant, il confond (comme le font la plupart des bailleurs de fonds d’aide au développement) la fonction institutionnelle (ici, sécuriser le revenu du paysan) et l‘arrangement institutionnel (ici, les droits de propriété, qui sont une des formes possibles pouvant sécuriser le paysan). Cela conduit à prétendre universels les arrangements contingents qui ont cours au Nord.

Voir sur ce point notre ouvrage : « SUD ! Une toute autre vision de la marche des sociétés du Sud » Ed L’Harmattan, 2018. ==> ICI